Catherine
Bernard, "London
Fields de Martin Amis : la mimésis revisitée." Bernard Gilbert, "An Insular Possession de Timothy Mo : Guerre de l'Opium ou Guerre des Mondes ?" Moya Jones-Petithomme, "Hanif Kureishi : identité(s) interculturelle(s)." Jacqueline Reymond, "Paratexte et échec des formules dans Brazzaville Beach de William Boyd." Hedi Ben Abbes, "Abracadabra ou la magie de la conclusion de Midnight's Children." Jean Vaché, "Fiction romanesque et poésie fictive dans Possession de A.S. Byatt." Michèle Théry, "Chant d'innocence ou chant d'expérience : l'itinéraire de la douleur dans In the Springtime of the Year de Susan Hill." Katharine Pfaltz, "The Lehmann Woman." |
London Fields de Martin Amis : la mimesis revisitée
Catherine BERNARD (Université d'Orléans)
Violent, inconvenant, outrancier, London Fields - sixième roman de Martin Amis (1989) - s'inscrit dans la tradition des fictions dystopiques au millénarisme sombre. Sur l'écran opaque de nos peurs historiques, Amis projette, dans ce roman, les ombres déjetées, caricaturales. d'êtres entraînés dans la danse macabre d'une Angleterre post-thatchérienne devorée par "the anti-reality of the nuclear age".
Face au dérèglement, à la désorganisation du corps social et politique, face à ce que l'auteur conçoit comme une crise contemporaine du degré, se dresse l'architecture formidable et précaire elle aussi de l'allégorie, seule figure de ressemblance, seule forme assez organiquement cohérente pour donner sens à l'incohérence et à la dégradation du monde. Et en dernière instance, les stratégies mises en place par les personnages pour racheter leur propre destin a l'entropie et a la déchéance se révèlent fatales, c'est qu'elles sont frappées de la même absurdité que le monde simulacre dont elles émanent et dans lequel ne se jouent que des drames farcesques sans lendemain. Le grotesque allégorique d'Amis nous confronte à un monde étrangement familier, farouchement proche, aliéné à lui-même et aliénant, et dans lequel la seule catharsis possible est celle produite par la langue, la langue des poètes et des enfants, "because we are all poets or babies in the middle of the night, struggling with being".
An Insular Possession de Timothy Mo : Guerre de l'Opium ou Guerre des Mondes?
Bernard GILBERT (Université de Bordeaux III)
"The Empire writes back", disait Rushdie, et c'est vrai que la relève des lettres anglaises vient de la périphérie du Royaume. Timothy Mo, Anglais de Hongkong, y figure en bonne place ; ce perpétuel oublié des prix littéraires semble prendre un plaisir de mandarin à donner de livre en livre des preuves de sa maîtrise, non sans les mettre sous le signe ironique de la méprise. An Insular Possession proclame à qui veut l'entendre ces vérités inouïes que l'homme d'Orient et l'homme d'Occident cohabitent dans notre ego bifrons, que nous trouvons le multiculturalisme dans notre berceau, que nous brûlons tous dans un opium semblable les bâtonnets friables de nos vies.
L'opium justement est au coeur du livre, qui retrace les tribulations de deux Anglo-Saxons dans la Chine du temps des canonnières. Ces bateaux servirent, il y a quelque cent ans, à faire aux Chinois une proposition qu'ils ne purent refuser: troquer la soie précieuse, le thé et les épices contre l'opium de l'Inde anglaise. Dans ce marché de dupes, l'affrontement sera total : choc des cultures, des armes et des arts, des foules et des héros, des brutes et des lettrés, figurant les possibles de l'homme dans l'approfondissement spiralé de leurs rencontres asymptomatiques. Sur le "fleuve" Yang Tsé se joue le drame manichéen sans cesse répété de la déchirure des mondes, qui accouchera de notre éphémère modernité.
Mo nous parle donc de notre condition, en faisant un détour du côté de sa gestation. Rien de gratuit par conséquent dans ce roman fleuve- ce roman de notre fleuve- de presque 700 pages, denses, serrées, labyrinthiques. Ce livre touche à tout, baroque et rigoureux, kaléidoscopique, nous promène sur une muraille de Chine désespérément circulaire. Mais l'auteur nous donne de bons guides - les deux héros du roman aux noms emblématiques d'Eastman et Chase. A la fin du livre, la muraille perd son mystère, son utilité, son pouvoir; au bout du long et éprouvant périple, le lecteur peut, comme les deux héros, contempler des hauteurs Hongkong qui sort de terre et penser qu'après tout, cette Insular Possession, sans rivages ni terme, sera- s'il en décide ainsi - taillée à sa mesure et faite à son image.
Hanif Kureishi : identité(s) interculturelle(s)
Moya JONES-PETITHOMME (Université de Bordeaux III)
Les diverses oeuvres de ce jeune écrivain aux multiples talents (romancier, dramaturge, scénariste, metteur en scène...) ni tout à fait Anglais, ni tout à fait Pakistanais, reflètent la fluidité de sa propre identité et de sa place marginale par rapport à la société.
Son intérêt pour les interstices de la société britannique contemporaine et les nombreuses sous-cultures qui la composent, l'amène à analyser l'identité composite de ses personnages. Cette identité est d'abord vue en tant que composition d'éléments, provenant de ces cultures, qui laissent leur empreinte sur chaque individu. Ensuite, à travers ses oeuvres, il y a convergence et superposition des éléments identificateurs tels que le nom, la race, le sexe et la classe sociale.
Les métaphores de ses personnages, à travers des "emprunts" inhérents à chaque ouvrage, et à travers toute son oeuvre, mènent à un gommage progressif des différences. Sur un fond urbain et suburbain, son sens de l'humour malicieux incite Kureishi à la description pétillante de l'errance permanente de ses personnages.
Paratexte et échec des formules dans Brazzaville Beach de William Boyd
Jacqueline REYMOND (Côte d'Ivoire)
A travers l'analyse des formules paratextuelles que sont l'épigraphe, les titre et les intertitres, nous essaierons de montrer comment dans Brazzaville Beach, Boyd fait passer progressivement le lecteur de la théorie de la connaissance au principe d'incertitude. Au lieu de condenser un ensemble de significations, le paratexte de Boyd essaime tant et si bien que le lecteur est entraîné, à son insu, vers une multitude de pistes interprétatives sur lesquelles il se perd sans parvenir à donner sens à la vie qu'il est censé examiner, celle de l'héroïne. Le paratexte échoue au bord du texte, sans donner suite à sa mission explicative.
Abracadabra ou la magie de la conclusion dans MIdnight's Children
Hedi BEN ABBES (Université d'Orléans)
La dimension orale du récit impose un rythme narratif progressif qui préserve tous les mystères jusqu'à la fin de la narration et le dénouement final. Ainsi l'étude de la conclusion dans Midnight's Children s'accompagne-t-elle d'un rappel des faits sans lesquels elle ne peut être déchiffrée. C'est ainsi que la problématique de l'identité trouve son expression à travers la célébration du "je" nouveau, de l'homme cosmopolite sans contraintes de langue et de religion, sans frontières géographiques ou historiques.
Fiction romanesques et poésie fictive dans Possession de A.S. Byatt
Jean VACHÉ (Université Paul Valéry - Montpellier 3)
Etude de la nature et du rôle que joue la poésie dans le roman de Byatt, sorte d'hypertexte proliférant. La révélation d'une liaison entre le grand poète Randolph Henry Ash et la poétesse mineure Christabel LaMotte donne un effet de réel hallucinant et l'imbrication avec la réalité victorienne est parfaite. Nous entendons deux voix distinctes, nous découvrons deux styles différents. C'est dans les derniers chapitres que se produit la métamorphose du critique en poète, une bonne leçon pour tous ceux qui, étudiants et critiques, confondent poésie et biographie.
Chant d'innocence ou chant d'expérience : l'itinéraire de la douleur dans In the Springtime of the Year de Susan Hill
Michèle THERY (Université de Montpellier)
In the Springtime of the Year, de Susan Hill, est le récit largement autobiographique d'un deuil qui ne s'annonce pas comme une autobiographie: on ne l'apprend que dans une postface ajoutée quinze ans après la première édition (1974). C'est un parcours, de l'ignorance et de l'innocence de la jeunesse (de Ruth, récemment mariée) à l'expérience de la douleur et de la mort (celle de son mari). Le récit s'inscrit dans une symbolique chrétienne de la grâce et du salut tout en faisant référence à une tradition philosophique et littéraire où la nature occupe une place essentielle. Cet arrière-plan très riche reste néanmoins discret dans un récit très émouvant, où la souffrance s'exprime avec une retenue qui la rend encore plus sensible. L'écriture de Susan Hill, toute en nuances et pourtant limpide, n'est pas la moindre qualité d'une romancière injustement tenue pour mineure dans le bruit et la fureur contemporains.
Katharine
PFALTZ (King's College,
Londres)
Is there a typical
heroine in Rosamond Lehmann's novels ? The paper answers this question by
taking a psychological approach, examining the characters' patterns in
relationships rather than their superficial characteristics. Within the context
of character, several themes are examined: the lasting (or not lasting) nature
of love both inside and outside of marriage and the idea of character limited
by time period. An in-depth character analysis reveals Lehmann's skill in
developing fully rounded and believable heroines, and illustrates how she
plays on certain contradictions to achieve them. Lehmann writes on traditional
and romantic themes, while at the same time addressing issues such as
homosexuality and abortion which were somewhat radical for the time. Her
heroines dispell the myth of their creator as no more than a romantic
writer.