(réf.  Etudes Britanniques Contemporaines n° 1. Montpellier: Presses universitaires de Montpellier, 1992)

63

Abracadabra ou la magie de la conclusion de Midnight's Children

Hedi BEN ABBES (Université de Caen)

But now Padma says, mildly, 'What date was it?' and, without thinking, I answer: 'Some time in the spring.' And then it occurs to me that I have made another error - that the election of 1957 took place before, and not after, my tenth birthday; but although I have racked my brains, my memory refuses, stubbornly, to alter the sequence of events. This is worrying. (1)

L'ouverture et la conclusion de Midnight's Children délimitent toutes les subtilités d'un système de narration multidimensionnel et complexe. Cette complexité narrative met en évidence l'importance du récit autobiographique où le jeu de la mémoire constitue la plate-forme sur laquelle le "je" se métamorphose, se décompose et se fragmente, le voyage à la rencontre de soi est accompli à travers une narration d'investigation où l'écrivain part à la recherche d'une identité qui s'accomplit dans et par l'écriture.

Midnight's Children est, à l'image de son auteur d'ailleurs, une célébration de toutes les cultures, du Cosmopolitisme et d'un subtil mélange de systèmes de narration où les traditions écrites et orales se côtoient sans provoquer pour autant une quelconque confrontation entre les différentes valeurs dans lesquelles Saleem Sinai, le héros du roman, évolue. Ainsi, le mot dans sa forme écrit rend-il parfois un aspect visuel, presque physique, basé sur les jeux de mots et leur orchestration. Une orchestration qui s'apparente à

______________

1. RUSHDIE, Salman. Midnight's Children. Picador. 1982. 222. Les références à des citations extraites de Midnight's Children apparaîtrons désormais sous la forme suivante: MC, suivi du numéro de la page.

64

celle d'un James Joyce ou d'un Kafka, le tout est moulé dans une structure purement orale qui fait appel à des techniques de provocation et d'excitation tel le suspense ou le fantastique.

La dimension orale du récit impose un rythme narratif progressif qui préserve tous les mystères jusqu'à la fin de la narration et le dénouement final. Ainsi, l'étude de la conclusion dans Midnight's Children s'accompagne-t-elle d'un rappel des faits sans lequel elle ne peut être déchiffrée.

L'une des particularités de ce récit autobiographique réside dans le rapport étroit entre l'histoire et l'historicité, entre l'histoire vécue et l'histoire racontée et filtrée à travers la mémoire d'un narrateur adulte. Malgré les multiples digressions, le récit garde une forme en spirale qui s'accomplit dans une progression en trois temps partant du moment présent (temps de l'écriture) vers le passé. Un passé daté (1915) mais qui contient de nombreuses ramifications remontant jusqu'à l'aube des temps en passant par la venue du Christ sur terre. La présence d'un personnage comme Tai, l'homme qui n'a pas d'âge, personnifie le cadre intemporel du récit :

I have watched the mountains being born, I have seen Emperors die... I saw that Isa, that Christ when he came to Kashmir. Smile, smile, it is your history, I am keeping in my head. (MC 16)

A partir de 1915 le temps chronologique s'impose et domine le récit et c'est à travers l'histoire personnelle de Aadam Aziz, "grand-père" de Saleem Sinai, qu'on arrive à 1947, date à laquelle l'indépendance de l'Inde et la création de l'état du Pakistan coïncident avec la naissance de Saleem. Cette coïncidence, qui n'en est pas vraiment une, rattache le destin de Saleem à celui de son pays et l'investit d'un rôle qu'il n'a pas choisi, celui d'être le reflet de l'histoire du continent indien.

At the precise instant of India's arrival at independence, I tumbled forth into the world... I had been mysteriously handcuffed to history, my destiny indissolubly chained to those of my country. For the next three decades, there was to be no escape, (MC 9)

Les trois décennies annoncées constituent le deuxième temps du récit qui relate la tumultueuse vie de Saleem Sinai de sa naissance jusqu'à 1978, date à laquelle le temps de

65

l'écriture commence. On quitte Saleern l'enfant pour rejoindre le narrateur adulte âgé de 31 ans et qui prend conscience de la limite de ses pouvoirs sur l'histoire des événements.

Si le temps chronologique du récit est globalement respecté, il demeure néanmoins truffé de digressions et d'erreurs intentionnelles et involontaires aussi bien dans l'ordre des événements que dans leurs dates dans une progression symbolisée par les battements d'une horloge. Une horloge témoin d'un premier compte à rebours d'un passé antérieur à un passé plus proche, puis d'un deuxième qui nous transporte vers le présent où le temps s'immobilise, voire se stérilise pour refléter l'état physique du narrateur ainsi que son état intellectuel: il est incapable d'écrire le futur avec la même certitude qui l'a animé pour écrire le passé. Remonter le passé à l'envers s'avère moins difficile que de spéculer sur un futur qui s'annonce énigmatique compte tenu de la complexité d'une société indienne qui subit de plein fouet les revers d'une colonisation outrageuse et d'une ouverture démesurée. C'est au coeur de ce cyclone culturel que le "Je" essaie d'établir le lien entre le passé et le présent à la recherche d'une identité rassurante. Le "Je" se dédouble et se transforme en Saleem assurant une passerelle entre le narrateur-écrivain et le héros dans un mouvement constant entre l'emploi du présent ("Je") et l'emploi du passé (Saleem), Ce dédoublement délimite un récit où Saleem subit des transformations qui affectent son "moi" intérieur, notamment dans sa confrontation avec son rival et alter ego Shiva avant de se fragmenter en différents personnages par le biais des différents prénoms qu'on lui attribue. Mais sa relation télépathique avec les Enfants de Minuit reste l'exemple le plus éloquent de cette multitude dans l'unicité que seul le genre fantastique nous permet en nous donnant la possibilité de transgresser les lois de la nature.

Les Enfants de Minuit classés par ordre chronologique selon leur proximité par rapport à minuit, la minute, voire la seconde où l'histoire du continent indien bascule dans les mains de Saleem qui va l'incarner pendant les trois décennies à venir :

I have been so-many too many persons, life unlike syntax allows more than three. (MC 463)

Le glissement constant du personnage permet d'établir un rapport privilégié entre le narrateur et l'auditeur - rappelons qu'il s'agit d'un récit oral - qui est Padma dont la présence physique auprès du "Je" narrateur et écrivain rappelle inévitablement les contes des Mille et une Nuits où la survie du narrateur dépend exclusivement de sa technique de narration et de la création du suspense pour tenir le Roi Shehryar en haleine et différer la

66

sentence de mort. Le parallèle entre d'un côté le "Je" narrateur et Sheherazade, et de l'autre Padma, son interlocutrice, et Shehryar, ainsi que celui entre la sentence de mort et la demande de l'amour sont plus qu'explicites. Si Sheherazade risquait sa vie, Saleem risque d'être confronté à l'exigence d'une femme qui attend la fin du récit pour réclamer un amour qu'il ne peut donner pour cause de stérilité. Une stérilité annoncée dans le premier chapitre mais en termes chargés de mystères et qui incitent Padma - à l'image du lecteur lui-même - à exiger du narrateur l'accélération de son débit oratoire dans un engouement presque pathologique pour découvrir la suite, "What-will-happen-next."

Le même narrateur conscient de l'impact d'un tel suspense sur son interlocutrice se livre à d'amples digressions sans courir le risque d'épuiser la patience de Padma ni celle du lecteur. I1 nous met l'eau à la bouche, nous promettant monts et merveilles, croyant que la promesse d'un futur exotique et excitant est le parfait antidote contre un présent décevant ; il déclare :

I have not finished yet. There is to be electrocution and a rain-forest; a pyramid of heads on a field impregnated by leaky narrow bones; narrow escapes are coming, and a minaret that screamed ! Padma, there is still plenly of worth telling... (MC 346)

Ou alors quand il affirme :

I know now that she [Padma] is, despite all her protestations, hooked. No doubt about it: my story has her by the throat. (MC 38)

Rassuré par son succès oratoire, le "Je" peut se disperser, se fragmenter pour incarner à la fois l'Orient et l'Occident, les différentes mythologies et différentes religions dans une ascension vers une libération imminente des contraintes imposées par les dogmes d'une histoire riche en rebondissements en tous genres et aussi une ascension vers un dénouement et une conclusion livrée sous forme de confusion. C'est là que l'enfant rejoint l'adulte et que le "Je" et Saleem se confondent.

La naissance d'un "Je" nouveau personnifié par Aadam Sinai, "fils" de Saleem, est aussi complexe que celle de Saleem lui-même. Ce "Je" nouveau, né d'une aventure entre Parvati-the-Witch, la femme de Saleem et Shiva son alter ego soulève la problématique de la légalité et la légitimité et sert do moyen pour brouiller les frontières qui délimitent l'identité individuelle.

67

Cette naissance qui précède la mort du "Je" narrateur s'insère dans le cadre de l'image de l'enfance dans la nouvelle littérature. Contrairement à l'adulte, le nouveau-né se prête à différentes manipulations et favorise un nouveau départ sur d'autres bases qui profite d'un passé chargé d'expériences, Les Enfants de Minuit sont nés pour et dans l'histoire. Ils vivent une expérience unique, celle du pouvoir et de ses illusions. Agissant sur un plan fantastique ils peuvent ensorceler, voler, changer de sexe, voyager dans le temps, lire dans les esprits, etc. L'organisation de ces forces surnaturelles dans une structure fixe est vitale pour leur survie et leur succès à imposer un ordre à l'histoire. Comme dans l'histoire de leur pays ils se livrent à une compétition déloyale pour la conquête du pouvoir et la présidence de cette communauté d'enfants. Une aventure qui s'est terminée par la fragile domination de Saleem qui est le seul à posséder le don de télépathie sans lequel les Enfants de Minuit ne peuvent exister. En effet, c'est dans la tête de Saleem qu'ils se réunissent et qu'ils communiquent.

Les incalculables dons qu'ils possèdent ne sont que des éléments compensatoires qui rétablissent le déséquilibre constitué par l'âge. Les Enfants de Minuit opèrent de différentes manières, ils agissent sur la vie politique et sociale et surtout sur l'histoire de leur pays. Cette micro-société des Enfants est constamment amplifiée pour incorporer la nation indienne dans sa totalité. Les Enfants constituent le présent et le futur du pays. Un présent avec ses rivalités, maladresses et luttes pour le pouvoir reflète une réalité bien terre-à-terre avec ses horreurs et ses échecs. Ainsi la désintégration finale des Enfants de Minuit renforce-t-elle l'aspect réaliste du récit et nous ramène-t-elle à nouveau à une réalité objective et accablante, celle de l'état d'urgence de 1975 et la partition du continent indien, de la guerre indo-pakistanaise et de la guerre de religion dans un combat sans merci et sans fin.

La désintégration de ce groupe et son anéantissement viennent à la suite d'un programme de stérilisation lancé par The Widow aux cheveux noirs et blancs qui n'est autre que Mme Indira Gandhi, celle qui, par la dissection des parties intimes des Enfants, leur a enlevé la vie et l'espoir. Seul rescapé pour cause d'âge est Aadam Sinai.

Aadam Sinai, fils biologique de Shiva et Parvati - deux Dieux vénérés-, est lui aussi né à la seconde même où l'état d'urgence du 25 juin 1975 est entré en vigueur dans une coïncidence plus que troublante entre le travail de sa mère et celui du gouvernement de Gandhi.

On the stroke of midnight, as a matter of fact, clock-hands joined palms. Oh spell it out, spell it out: at the precise instant of India's arrival at Emergency, he emerged. There were gasps; and across the country, silences and fears. (MC 419)

68

Cette résurrection qui précède la stérilité, sur un fond d'histoire, est un exemple vivant d'une volonté implacable de dominer l'histoire et de laisser l'espoir jaillir du conflit qui oppose l'histoire personnelle et l'histoire collective, réduites à une unité microcosmique: le "Je" nouveau. Ainsi Aadam peut-il crier - comme l'a fait Saleem - l'histoire c'est moi !

C'est ainsi qu'après les digressions qui englobaient le monde entier ("to know me, just the one of me, you'll have to swallow the lot as well" [MC 9]), le récit se resserre autour d'un seul personnage qui est le résultat de l'amalgame de tous les autres enfants et adultes y compris le narrateur lui-même.

Aadam Sinai n'est pas un enfant comme les autres. A la différence de son père, il est d'une volonté implacable, et il est venu au monde avec les yeux bien ouverts et des oreilles énormes, des atouts qui lui permettent d'avoir une meilleure perception du monde qui l'entoure. Cet enfant refuse la soumission et éclipse la présence de son "père" pour mieux asseoir son propre pouvoir sur la matière et sur l'esprit. C'est comme s'il allait prendre le récit lui-même et ce n'est pas un hasard si le premier mot qu'il prononce est "Abba... Cadabba" qui est le titre du dernier chapitre du roman.

Comme dans un tour de magie, le récit arrive à sa fin et c'est la mise à plat de toutes les énigmes. À l'image du drap troué qui voilait le corps de Reverend Mother - la grand-mère de Saleem - pour ne laisser apparaître que la partie que le Docteur Aadam Aziz (son futur mari) devrait ausculter. Par déplacement successif de ce trou, au fur et à mesure que le cas pathologique de cette patiente hors pair s'aggravait, ce corps fragmenté finit par dévoiler tous ses charmes et par là même conquérir le coeur du jeune docteur fraîchement débarqué d'Allemagne, où il a fait ses études. Ce déplacement visuel qui s'apparente à celui d'une caméra, comme outil d'observation et d'investigation, traduit une démarche similaire adoptée par le narrateur-écrivain qui procède de la même manière de telle sorte que le dernier chapitre sert à recoller les morceaux, comme dans un laboratoire cinématographique lors d'un montage. Abracadabra, le rideau est tiré, le récit s'accélère et tous les éléments se regroupent dans un mouvement d'harmonisation afin d'assembler les constituants d'une mosaïque haute en couleurs et en formes qui s'emboîtent et s'imbriquent.

Rushdie le magicien des mots, dans une démarche presque empirique voilée - sans jeu de mots - d'éléments fantasques, d'un seul geste "Abracadabra" assure la mise à plat du suspense à travers la décomposition de ses éléments. C'est ainsi que toutes les énigmes engendrées par un système de narration basé sur le suspense sont rendues explicites, ce qui

69

permet à la narration de rattraper la réalité. Le temps se resserre et le passé se dissipe dans une collision frontale avec le présent.

La métaphore que le narrateur-écrivain nous livre est des plus éloquentes quand il compare la vision du narrateur à celle d'un cinéaste assis au dernier rang de la salle. Cette position reculée lui permet d'avoir une vision à distance, globale et panoramique de cette réalité visuelle. Le déplacement constant vers l'avant de la salle réduit le champ de vision au fur et à mesure qu'on s'approche de l'écran. C'est ainsi qu'on passe à une vision plus réduite et plus subjective puisque les paramètres de l'objectivité sont de plus en plus limités. Quand on a le nez collé à l'écran, c'est là que l'on perd tout contrôle de la réalité et que l'écrivain cesse d'exister de peur de perdre sa crédibilité et son objectivité.

But right now we're too close to the cinema-screen, the picture is breaking up into dots, only subjective judgements are possible. Subjectively, then I hang my head in shame. (MC 435)

Ce passage du passé au présent ramène la narration sur le terrain d'une réalité mouvante et insaisissable et qui échappe au contrôle d'une écriture à distance. Ce coup d'arrêt brutal donné à la narration gèle le mouvement dans un moment de stupeur similaire à la stupéfaction d'un spectateur face à un tour de magie et ne laisse d'autre option au magicien que d'improviser une sortie honorable et crédible.

Rushdie déclare dans une interview sa reconnaissance à Mme Gandhi qui, à de tels moments critiques de la narration, lui a assuré une sortie en organisant des élections anticipées mettant fin à un état d'urgence sur lequel Rushdie refuse de terminer son récit. Quoi de plus explicite que de le citer quand il affirme :

I remember dearly my feelings when Mrs Gandhi called her election and lost. I felt a profound personal gratitude, in fact I began to understand Saleem's feeling of being responsible for history... and in a way I still feel that I was somehow responsible for the end of the Emergency and that history could obey aesthetic requirement.(2)

Réalité et fiction, personnages réels et personnages fictifs se confondent, rendant obsolète

___________

2 RUSHDIE, Salman. Interview Kunapipi, university of Aarhus, oct. 7, 1983. 15-16.

70

par là-même, toute présence de frontière entre une magie insaisissable et une réalité incontournable. De nombreux critiques s'accordent à appeler cela "magic-realism", une terminologie qui à mon sens fait abstraction des conditions économiques, sociales, historiques et surtout culturelles du continent indien telles qu'elles sont perçues par un écrivain cosmopolite, non-conformiste qui essaie de comprendre. Rushdie tente d'appréhender le monde à travers la discipline du "doute," de l'interrogation permanente face à des phénomènes régulateurs de la vie à la fois spirituelle, intellectuelle et politique de l'homme actif.

Pour comprendre le présent, un voyage dans le passé s'avère indispensable à tout autobiographe désireux d'interpeller le lecteur et de l'amener à se poser les mêmes questions concernant l'avenir. On résiste difficilement à l'idée de qualifier une telle démarche de militant tant le fond et la forme du roman s'accordent harmonieusement pour impliquer l'auditeur ou le lecteur. L'examen de la conclusion nous livre les éléments stylistiques que Rushdie utilise pour assurer cette implication. Si le passé trouve sa justification dans le présent, il n'en est pas de même pour le futur. Le narrateur qui prône le mérite d'une narration à distance ne peut pas se contredire en s'engageant sur la piste spéculative du futur. C'est ainsi que le futur demeure aussi énigmatique que le passé non raconté. On retrouve les mêmes expressions et les mêmes interrogations assurant le même passage, de la position de l'énigme, de sa formation à la promesse de réponse tout en laissant suspendue la réponse finale, clé de tous les mystères. On retrouve à nouveau des phrases concentrées, indéchiffrables même par leur narrateur et auteur, qui parlant de l'avenir de Aadam Sinai déclare :

His son who'll not be his, and who'll not be his...

Ainsi les mystères, piliers de la tradition orale dans les contes de fées orientaux, donnent une fin ouverte (bien qu'elle finisse par la mort de Saleem, une mort annoncée) qui offre la possibilité de prendre la relève en assurant la continuité de l'écriture - de la vie - et par là même la réitération de l'histoire. C'est Aadam Sinai qui constitue le maillon indispensable à la continuité du cycle de la réincarnation avec le même syndrome de l'optimisme.

Cette conclusion, ou confession, qui s'apparente à celle d'un Nabokov face à un tribunal intellectuel de l'histoire, situe le roman dans le cadre de la science-fiction où une fin fermée est quasiment impossible. La résurrection de Saleem à travers son "fils" Aadam en est une preuve. Saleem ne doit son existence qu'à l'écriture, acte de création et moyen de purger le

71

"moi" de tous les résidus d'une identité bafouée. C'est un acte libérateur destiné à combler le vide ressenti au fond de la poitrine de ce "moi" investigateur. Le "moi" se libère en se faisant écrivain tout en étant conscient du fait que plus rien à écrie équivaut à plus de vie ou de raison de vivre. "Drained of words" n'a pour équivalent que "drained of life."

Quand les énigmes sont déchiffrées, quand les utopies sont démystifiée, quand les dogmes sont mis en question, le débat est alors ouvert pour les générations à venir. D'autres énigmes peuvent surgir et relancer à nouveau le débat et c'est ainsi que la vie trouve son sens, loin des spéculations abstraites.

Quand le messager des temps modernes fait son travail, il le livre tel qu'il est, témoin de l'histoire, et d'une vérité qui à force d'être relativisée et nuancée (à force de connaître les règles du jeu d'avance, on finit par s'y prêter) finit par convaincre par son authenticité et sa sincérité :

One day, perhaps, the world may taste the pickles of history. They may be too strong for some palates, their smell may be overpowering, tears may rise to eyes; I hope nevertheless that it will be possible to say of them that they possess the authentic taste of truth [...], that they are, despite everything, acts of love. (MC 461)

C'est ainsi que la problématique de l'identité trouve son expression à travers la célébration du "Je" nouveau, de l'homme cosmopolite sans contraintes de langues et de religions, sans frontières géographiques ou historiques. L'homme qui a su se défaire de la notion de "Purity", à l'origine de tous les conflits et persécutions (guerres de religion, conflits raciaux, systèmes de caste...) que ce soit à l'échelle individuelle ou collective. La célébration de l'homme dans son universalité, sa complexité, sa fragilité et surtout sa détermination ("Aadam's will") à ne plus croire aux astres, mais plutôt à la notion de "projet" - dans le sens philosophique du terme - qui donne sens au passé, au présent et qui ouvre les horizons du futur. Le "projet" c'est l'écriture, la vie, l'espoir.

 (réf.  Etudes Britanniques Contemporaines n° 1. Montpellier: Presses universitaires de Montpellier, 1992)