(réf. Etudes Britanniques Contemporaines n° 1. Montpellier: Presses universitaires de Montpellier, 1992)
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Hanif Kureishi: identité(s) interculturelle(s)
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32 I1 aborde, dans un seul paragraphe, quelques-uns des axes majeurs déjà explorés dans d'autres ouvrages. Les sujets qui le préoccupent sont les cultures - et ici il faut entendre le mot "culture" dans son sens Le plus large possible - qui laissent leur empreinte sur un individu, et qui contribuent à la composition de sa personnalité, de son identité. Evidemment la question raciale - la couleur de la peau, le nom que l'on porte, sont ici des questions primordiales. Kureishi est intéressé par son propre cas, le curieux mélange de continents et de sangs, le sentiment d'appartenir à la fois à l'Angleterre et au sous-continent indien. Le thème de l'environnement urbain (Londres et sa banlieue sud) est également présenté - si ce n'était pas déjà fait dans le titre du livre. Cependant, ces fils conducteurs ne dominent par son ouvrage au point de devenir la force motrice de son écriture. Ils sont là néanmoins, mêlés à d'autres thèmes, et ils sous-tendent les autres questions traitées, telle l'appartenance à un groupe social, que ce soit une famille, un clan, un groupe racial ou une classe sociale... mais qu'est-ce que l'identité, si ce n'est une définition de soi-même par rapport à autrui? Par rapport aux repères temporels et spatiaux ? Il est évident, comme disait le critique Brian Appleyard dans le Sunday Times Magazine (17 mars 1990) que ce roman "flirte dangereusement avec l'autobiographie." Le personnage de Karim et l'auteur Kureishi ont beaucoup de choses en commun. Né en 1954 à Bromley dans le Kent d'un père pakistanais et d'une mère anglaise, tous deux commencent leur carrière au théâtre "alternatif" ou marginal. Karim est acteur - le métier de la mutation par excellence - et Kureishi, lui, écrit des pièces. Mieux connu probablement comme scénariste du film My Beautiful Launderette, mis en scène par Stephen Frears en 1985, pour lequel il a été présélectionné pour un oscar, en fait Kureishi écrivait des pièces produites essentiellement sur le circuit "fringe" à Londres (Riverside, Soho Poly), avant d'entrer au Royal Court Theatre comme écrivain résident (writer in residence), Scénariste de Sammy and Rosie Get Laid (1988), également mis en scène par Stephen Frears et de London Kills Me (1991) qu'il a mis en scène lui-même, il travaille également comme journaliste, collaborant à divers journaux et périodiques, notamment New Society and Statesman. Il n'hésite pas à afficher ses préférences politiques, qui sont bien connues d'ailleurs, profitant de ces diverses plates-formes pour condamner les excès de l'époque thatchérienne et approuvant les émeutes anti-poll tax. Il se sait condamné à rester aux marges de la société britannique, et se plaît donc à renforcer bien volontiers cette position. Cette place marginale et sa prise de position politique déteignent sur ses oeuvres, donnant une raison d'être à son écriture. Son identité fluide, qui est le résultat de l'étonnante mixité et de la diversité de ses origines et de ses expériences (il est licencié en philosophie de l'Université de Londres) lui permet de vaciller dans sa marche vers la récupération totale par la société "imainstream," |
33 En fait il refuse d'être totalement récupéré - de toute façon, ce n'est pas possible - et ce qui le sauve, c'est son sens de l'humour. Est-ce son héritage britannique qui l'amène à voir l'absurde et le comique autour de lui? Toutes ses oeuvres sont pleines de situations comiques, absurdes ou grotesques, le tout dépeint d'une touche légère. Même ses oeuvres les plus noires ou les plus pessimistes, comme The King and Me (1980), onte leurs moments d'humour. Revenant à son roman, on pourrait classer The Buddha of Suburbia dans la meilleure tradition du roman picaresque, bien que les éléments classiques de ce genre se trouvent aussi dans ses pièces et ses scénarios. Il met en scène des personnages issus du peuple, volontiers vagabonds, qui errent, toujours à la recherche d'autre chose, jamais sûrs et jamais satisfaits. Cette errance (ou vagabondage) est examinée au niveau concret - ses personnages zigzaguent à travers la carte du Grand Londres, à la recherche de choses et de gens, réels ou imaginaires. En même temps, leurs diverses quêtes les entraînent dans des voyages à travers le temps et à la rencontre de diverses cultures et sous-cultures lorsqu'ils cherchent à se fixer et, justement, à s'établir une identité. Ce mouvement, cette fluidité leur permettent d'emprunter, de voler des morceaux afin de se construire une sorte d'identité en "kit." N'est-ce pas ce que nous faisons tous? L'homme est composé d'un ensemble de morceaux en recomposition constante. Pour parler de la question d'identité(s) dans l'oeuvre de Kureishi on pourrait examiner ce sujet à partir de ces critères qui, une fois ajoutés les uns aux autres, donnent l'image composite d'un homme ou d'une femme - ce sont les constituants de son identité. Pour les besoins de cette analyse on peut les diviser grossièrement en deux grands groupes: premièrement, les critères qui confèrent une identité "externe" à une personne, c'est à dire les éléments "visibles" (race, classe sociale, etc.). Le deuxième groupe comprendrait les éléments "internes," plus subtils, qui sont les influences formatrices. On pourrait y inclure l'influence de la famille, les lieux géographiques, voire "l'air du temps." Pour rester "politically correct" il ne faudrait pas insister sur la couleur de la peau comme élément majeur dans cet exercice de construction de l'identité. Néanmoins, comme nous l'avons déjà dit, le problème de la race, et tous les problèmes épineux et sans solution que cette question soulève, sont fondamentaux dans les travaux de Kureishi. En fait, il y puise une source inexploitée jusque-là. Avant lui, personne n'a décrit la micro-société asiatique en
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34 Grande-Bretagne. Victime dans sa vie personnelle de la discrimination et de la violence qui l'accompagne parfois, c'est en arrivant que Kureishi a pu prendre sa revanche intellectuelle. Mais il ne faut pas croire qu'il épingle seulement le racisme de la société britannique vis à vis de ses concitoyens de l'ancien Empire. Ses dards sont destinés autant aux Pakistanais qu'aux Anglais. En fait, il est intéressant de noter une évolution dans sa façon de traiter cette question. Dans ses premiers travaux, il traitait les Noirs et les Blancs séparément. Par exemple, dans Birds of Passage (1983), Asif, élève-ingénieur pakistanais, loge chez une famille blanche à Sydenham (banlieue sud de Londres). Ami du fils de la maison, il est quand même considéré comme "différent" - "You Asians," lui dit son ami Paul, même s'ils se battent chaque soir, du même côté, contre les voyous racistes du council estate (BP 40). La famille, jusque-là aisée, ne se posait pas de questions sur son devenir ni sur la direction que prenait la société britannique. Maintenant, elle se trouve en difficulté, et c'est Asif qui achète la maison et les oblige à partir. Dans My Beautiful Launderette également, les Noirs et les Blancs sont présentés séparément, Kureishi s'amuse à nous montrer la richesse matérielle des Pakistanais - des hommes d'affaires qui ont réussi dans la vie en pratiquant tout ce que prêchait le gouvernement conservateur des années 80 sur l'entreprise et le "self-help." Le contraste avec les voyous blancs, de la classe ouvrière, est frappant. C'est Johnny qui fait le pont entre les deux camps, car il aime Omar et il accepte de travailler pour sa famille. L'appartenance au groupe racial est soulignée:
C'est l'avertissement de son copain Genghis à Johnny. De la même façon, le cousin Salim invite Omar: "You'll be with your own people" (MBL 55). Chaque groupe clame son identité, que ce soit à travers "the immigrant work ethic" pour le Pakistanais, ou par la néo-ethnicité blanche à laquelle adhère la bande de Johnny - Front National, équipes de foot comme Millwall ou Crystal Palace, et manifestations violentes. Dans les oeuvres qui suivent, il y a une sorte de convergence entre les races. Dans Sammy and Rosie, par exemple, ce rapprochement est symbolisé par le mariage de Sammy, le Pakistanais, avec Rosie, l'Anglaise. Leur mariage est dit "ouvert" et ils ont chacun des liaisons - elle avec un Antillais, lui avec une Américaine. Le père de Sammy arrive du Pakistan, et renoue avec une ancienne maîtresse blanche. Ce n'est que dans The Buddha of Suburbia que Kureishi présente un personnage de race mixte, mais cette mixité est centrale au livre, et explique bien |
35 l'indécision et l'errance du personnage: "I always wanted to be somewhe else," dit Karim (BS116)."What a confused boy he was," dit-on de lui (BS 118). Dans son film récent, London Kills Me, la question de la race n'est pas abordée directement. Il est vrai qu'elle n'est pas toujours abordée dans certains autres écrits de Hanif Kureishi (The King and Me, Outsiders, Tomorrow Today) mais dans ce dernier film, il y a des personnages noirs ou blancs ou de race mixte, et ceci paraît tout à tait fortuit ou accidentel. En n'insistant pas sur ce facteur, Hanif Kureishi serait-il en train d'exorciser ce sujet qui jusque-là l'irritait tant? Bien sûr, il est question du problème de l'intégration de l'immigré dans la société d'accueil, tout comme il est question de la discrimination. Cette dernière est traitée à plusieurs niveaux par Kureishi - du dentiste d'origine sud-africaine dans The Buddah of Suburbia qui demande si Karim parle anglais, jusqu'à la violence des attaques raciales Non seulement ces dernières sont évoquées par ceux qui les commettent, ce qui est le cas de Bob et Del (Outsiders) mais ceux qui en ont souffert nous en font part également (l'oncle Anwar, Changez dans The Buddha of Suburbia). Par contre, dans les films on assiste à des scènes de violence, (la destruction de la laverie dans My Beautiful Launderette, les émeutes anti-police après l'assassinat d'une Noire dans Sammy and Rosie). Ce dernier incident est basé sur un fait divers qui s'est passé à Brixton en 1985, car Kureishi fait référence aux événements historiques (manifestation du National Front à Lewisham en 1977 dans My Beautiful Launderette, discours raciste d'Enoch Powell en 1968 dans The Buddha of Suburbia). La position privilégiée de Kureishi lui permet donc de présenter plusieurs points de vue, mais son problème personnel n'est pas résolu pour autant, Dans l'introduction de son roman il a bien dit: "I am an Englishman... almost." La mère le confirme :
L'humour de Kureishi nous livre cette déclaration maternelle après qu'elle a vu son fils jouer Mowglie dans Le Livre de la Jungle. Dans la même veine acide, aux Etats-Unis, Karim est accepté comme Anglais. Nous le savons car il se bagarre lors d'une réception et il entend :
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36 Mais il n'a pas d'illusions. Son amie Jamila s'entraîne, fait de la musculation, préparant la lutte à venir :
La couleur de la peau est difficile à changer. On est marqué à vie, et en tant que facteur déterminant dans la mosaïque de l'identité, nous avons vu brièvement ici que c'est primordial, D'autres diront que la classe d'origine contribue autant à la composition d'une identité. Cependant, il est peut-être plus facile de changer de classe sociale que de couleur de peau (mis à part le fait qu'un Noir dans la société britannique ne peut pas dépasser une certaine limite - une sorte de "plafond de verre"). La quasi-totalité des personnages que dépeint Kureishi provient de la classe ouvrière ou la lower middle class. L'éducation, l'argent et le pouvoir permettront une fluidité inter-classes, mais celle-ci est limitée. Quand il y a des personnes de classes différentes présentes dans ses ouvrages le but exclusif semblerait être la moquerie et la dérision. Ainsi voyons-nous épingler les "champagne radicals" (ceux qui épousent une cause politique sans la vivre) dans la personne de Headley dans London Kills Me ou le metteur en scène Pyke dans The Buddha of Suburbia, de faux marginaux. Le dilemme de Karim se trouve résumé dans les noms des repas :
Epinglés également sont les "yuppies," décrits comme suit :
Cet intérêt pour les interstices de la société et pour les fragments qui construisent la personnalité de l'homme a amené Kureishi à donner une place prééminente à la sexualité et aux personnage dont l'identité sexuelle est floue et ambiguë. L'identité sexuelle de Karim est aussi floue que son identité raciale. Entre les filles et les garçons, il n'arrive pas à se décider :
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37 L'abondance de personnes bisexuelles, homosexuelles et asexuelles, qui n'obéissent pas aux lois sociales traditionnelles de fidélité - que ce soit à un partenaire ou à un genre -, et le gommage progressif des différences entre les sexes, font partie peut-être de la même convergence dont nous avons parlé plus tôt. Le conflit entre les sexes, ou même la solidarité des sexes, finit par ne plus avoir d'importance. Karim saute de copine en copain, son père quitte sa mère pour une autre. Dans Birds of Passage on nous laisse croire que Asif et la tante Eva ont une aventure ensemble. Il y a une abondance de liaisons dans Sammy and Rosie et nous retrouvons aussi ce va-et-vient perpétuel dans London Kills Me, où Sylvie erre entre Clint et Muffdiver. Quant à Clint lui-même: en fait, quelles sont ses préférences en la matière ? La même ambiguïté plane également sur l'amitié de Bill et Ben dans Tomorrow Today et peut-être aussi sur la liaison entre Del et Bob dans Outskirts, Partout des rapports de force et de tendresse entre des couples, où la sexualité est tellement présente qu'elle finit par disparaître ! A la charnière des éléments identificateurs viennent les noms des personnages identifiants par excellence -, les noms qui parsèment cette littérature de l'inter-culturel. Il est assez extraordinaire de remarquer qu'il y a emprunt de noms et références croisées à l'intérieur de l'ensemble des oeuvres de Kureishi ainsi qu'à travers le temps et les générations. D'abord, comment ignorer le fait que "Eva" est le nom d'une tante (ou belle mère/tante) extravagante et volage dans Birds of Passage et dans The Buddha of Suburbia ? Ces deux oeuvres partagent aussi l'oncle Ted, installateur de chauffage central. Le mari Bill, de The King and Me, partage son prénom avec l'un des protagonistes de Tomorrow Today... Les noms masculins anglais sont courts - Bill, Ben, Bob, Del... Les prénoms des jeunes femmes ont une forte tendance à être français - Nicole, Marie (The King and Me), Sylvie (London Kills Me) tandis que les prénoms des femmes, des mères, sont assez banals. On se demande tout de même pourquoi Kureishi a donné le prénom de l'ancien Premier ministre à la maman dans sa quasi-autobiographie, car c'est une personne assez effacée, mais il est vrai qu'elle arrive à refaire sa vie après avoir été abandonnée par les siens (!). Audrey, le prénom de sa vraie mère, est utilisé à plusieurs reprises (Birds of Passage, Tomorrow Today). Nous ne possédons pas les outils (culturels) nécessaires pour analyser le choix des noms pakistanais (Karim, Omar, Jamila, Haroon, Rafi, etc.), mais encore une fois on voit dans le film London Kills Me une convergence, où les différences soulignées par ailleurs commencent à se gommer. Les noms sont curieux, asexués et peu révélateurs.
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38 Nous avons vu que les noms s'empruntent donc, à travers les oeuvres et à travers les générations et le temps. Dans London Kills Me Clint adopte ce nom en hommage à la vedette de la musique reggae, Clint Eastwood, qui lui-même avait emprunté son nom à l'acteur américain. Le film compte aussi Hemingway et Faulkner parmi la distribution. Les noms, comme les vêtements, sont empruntés ou volés, endossés et ensuite rejetés pour autre chose. Le fil conducteur de London Kills Me est la recherche d'une paire de chaussures pour Clint. Il en emprunte, il en vole, il essaie d'en acheter. Il n'épousera pas le prince une fois qu'il en aura trouvé, mais elles lui permettront d'être embauché dans le restaurant de Hemingway. Ironie: il les vole, sans se rendre compte qu'elles appartiennent à son futur patron. L'importance des habits et du "look" est accentué dans The Buddha of Suburbia, où les vêtements des protagonistes sont souvent décrits en détail :
Suit une description de l'ensemble choisi :
Puis, en contrepoids, le père apparaît, habillé par Marks et Spencer. L'habit fait le moine, dit-on, et Kureishi fait encore une référence croisée à l'intérieur de son travail lorsqu'il fait de deux de ses personnages des fanatiques d'Elvis Presley. Marie et Bill dans The King and Me (hommage à la comédie musicale de Rogers et Hammerstein, The King and I) partagent une passion folle pour le défunt roi du rock and roll. Bill s'habille comme lui, et l'imite lors du concours de chant afin de gagner un voyage aux Etats-Unis. Dans London Kills Me, Stone, le beau-père de Clint est fou d'Elvis, s'habille comme lui et conduit une Cadillac 59 :
Clint ne peut pas résister, et commet l'ultime sacrilège en volant les chaussures d'"Elvis." On atteint ici un deuxième, voire un troisième degré d'identité, l'une plaquée sur l'autre. Clint fuit son beau-père - de toute façon il n'a plus besoin de sa famille de sang, si ce n'est pour lui extorquer de l'argent. Son gang, "the posse," est sa famille. L'identité qu'il a adoptée est définie en fonction de ce groupe de vagabonds. C'est sa famille de substitution.
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39 Ailleurs dans l'oeuvre de notre auteur la faille, la vraie cette fois-ci, joue un rôle dominant. La grande famille étendue, bien connue des familles asiatiques, les pères, les mères, les parrains et marraines pour remplacer les parents, les frères, les cousins, etc. rivalisent avec des familles britanniques assez étendues. Encore une fois, on constate une évolution dans les oeuvres de Kureishi. En effet, il y a très peu de personnages sans repères familiaux, mais dans ses dernières oeuvres les personnages commencent à se détacher de leur famille, et surtout de leurs parents, comme Clint et son gang. On remarque l'arrivée d'une indépendance et d'une autonomie chez les personnages, qui se définissent en d'autres termes que ceux du patronyme et de l'héritage génétique. Mais avant d'en arriver là, il convient de noter le rôle important accordé aux mères et aux pères. Nous avons évoqué la mère de Karim dans The Buddha of Suburbia, sa mère par qui il est anglais. Son amour et son approbation lui sont nécessaires même s'il préfère suivre son père qui promet davantage de divertissements. Dans Tomorrow Today, "Mum" erre dans le passé et dans le présent, anxieuse, prête à soutenir son fils Bob, sachant qu'il est un bon à rien. Sans influence directe sur son fils, elle a cela en commun avec Audrey dans Birds of Passage et Margaret (The Buddha of Suburbia). Les portraits des pères sont brossés avec davantage de fermeté et de précision. Ce sont des hommes qui jouent un rôle déterminant dans la vie de leurs fils. Cherchant à former, à "mouler" le fils, Rafi (Sammy and Rosie), Haroon (The Buddha of Suburbia), Hussein (My Beautiful Launderette) essaient de s'imposer. Les fils, Sammy, Karim et Omar, réussissent à leur échapper. Karim enregistre sa déception lorsqu'il prend conscience du fait que lui, l'enfant, est devenu homme :
Encore une métamorphose dans l'identité de l'homme, lorsqu'il doit troquer sa jeunesse et toute la culture qu'elle inclut, contre la maturité, l'âge et les responsabilités. C'est une mutation qui est parfois difficile à vivre et dans Outsiders Kureishi explore l'amitié de Del et Bob au moment de leur adolescence, puis douze ans plus tard. Bob vit mal sa nouvelle identité d'époux et de chômeur, et tente de corrompre Del qui, lui, a préféré accepter son sort avec plus de grâce - ou peut-être se résigne-t-il plutôt à courber l'échine? Une des dernières répliques de Del adolescent est :
I1 y parvient en devenant enseignant. |
40 Ce désir de quitter la banlieue et cette haine envers elle s'expriment souvent dans les différentes oeuvres que nous examinons ici, et Kureishi est particulièrement cruel envers les banlieusards et leurs mornes banlieues résidentielles. Rien ne s'y passe, la ville est le seul endroit où l'on puisse vraiment vivre pleinement :
C'est le père, David, qui parle. Curieusement, ce n'est pas un jeune qui s'exprime cette fois-ci, car presque partout ailleurs l'insatisfaction et la frustration engendrées par le milieu suburbain sont à la source des actions entreprises par des jeunes. La banlieue est opposée à la métropole: Londres, pôle d'attraction, l'autre rive de la Tamise, ville de toutes les promesses. À Londres on peut se réinventer. Tout est possible. Dans les pièces de théâtre de Kureishi, au début de sa carrière, l'action a lieu presque exclusivement dans la banlieue - et l'on retrouve les mêmes références géographiques répétées: Crystal Palace Tower, Bromley, Orpington, New Cross, Millwall Football Club... C'est presque une stratégie d'animal, que de bien marquer les limites de son territoire, Cependant, dans les trois films et dans la deuxième partie du roman il y a un déplacement géographique, et l'action se situe dans la ville. L'action y est violente - attaques raciales, émeutes - et on y voyage beaucoup, surtout par les transports en commun. Les déplacements en train, en bus et en métro, les scènes sous des ponts de chemin de fer et des ponts d'autoroutes sont indicatifs du flux métropolitain constant. La ville ne dort pas (pas comme les cités dortoirs de la banlieue), mais il faut y survivre. "London kills me," dit une touriste allemande, d'où le titre du film. "London was killing us," constate Karim (BS 131), une fois qu'il a réalisé son rêve de s'y installer. Mais il est mal équipé avec son bagage de banlieusard :
Les personnages qui errent dans Londres, comme le gang de Clint ou Karim (ce que Kureishi appelle "running around"), traduisent la réalité de la jeunesse urbaine actuelle: les squats, la prostitution, les "raves" ("boums"), la drogue, le chômage. Mais ce mouvement continuel nous montre bien aussi qu'en fait ils ne vont nulle part. Leur désarroi, leur confusion les poussent à chercher, toujours chercher dans l'espoir de trouver une satisfaction
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41 ou un frisson ailleurs. Cette satisfaction est peut-être la possibilité d'être sûr de quelque chose. Est-ce possible, toutefois, quand on sait qu'on ne peut pas être sûr de ce qu'on est ? La faune urbaine que croisent nos héros est un bel exemple des multiples visages que possède la ville de Londres. On y voit la présence simultanée de groupuscules qui, en fait, y ont évolué à des époques différentes: les Teddy Boys, les hippies, les punks et les yuppies. Les personnages centraux dans les oeuvres de Kureishi n'appartiennent pas à ces groupes. Leur identité ne dépend pas de tels mouvements de mode éphémères. Il ne faudrait pas clore cette discussion en donnant l'impression que l'interculturalité décrite par Hanif Kureishi est une affaire triste et désespérée. Souvenons-nous :
Ainsi parlait A. Artaud (Le Théâtre et son Double 63). En effet, le travail de Kureishi est plein d'humour. L'élément de fun y est très important. Les blagues, les taquineries et les jeux de mots se succèdent, et s'accompagnent d'une forte dose de fantaisie. La fluidité déjà évoquée entre les cultures, les identités et même entre les différents écrits de Kureishi sont également présentes au coeur de son travail, où la réalité cède la place au fantastique. Il est vrai, cependant, que ceci est plus facile à rendre dans un film. Dans My Beautiful Launderette il y a de la sorcellerie - la maîtresse blanche de Nasser est envoûtée par l'épouse de celui-ci. Le fantôme dans Sammy and Rosie est remplacé dans London Kills Me par des scènes et des prises de vue qui ont plus à voir avec l'effet de la drogue qu'avec la réalité quotidienne. Cet anti-naturalisme, ce côté extraordinaire sont accompagnés par des quantités de blagues et de jeux de mots. Peut-être le côté le plus anglais de Kureishi, comme on l'a déjà dit, est-il sa prédilection pour l'absurde et son goût pour le déconcertant. Karim tient une liste de "gens normaux," rayant des noms au fur et à mesure qu'il découvre les dessous de leur personnalité. On a dit de ce "presque anglais" qu'il a contribué à revigorer la langue anglaise, en compagnie de Timothy Mo, Kazuo Ishiguro et Salman Rushdie. Il n'est pas patriote, et cependant le Pakistan n'est pas non plus son pays. Il a décrit son voyage au pays de ses ancêtres paternels dans The Rainbow Sign (1985). La montée de l'Islam et l'importance |
42 prise par la religion au Pakistan l'effraient mais, comme ses personnages, il est incapable de fidélité. Paradoxalement il a peur de trahir les siens - et c'est pourtant ce qu'il fait (The Buddha of Suburbia 51, 109, 186). Karim l'acteur est un emprunteur d'identité. Il donne sa parole à Changez qu'il ne l'imitera par sur scène, et c'est pourtant exactement ce qu'il fait. Son père aussi est un emprunteur d'identité. C'est lui le "Bouddha de banlieue" du titre du roman. Ce musulman pakistanais, domicilié en Angleterre, se convertit officieusement au bouddhisme et devient une sorte de gourou. En épiant un soir cet homme qui jouit, lui aussi, d'une étonnante fluidité d'identité, le fils se pose une question :
Son identité inter culturelle était donc probablement déterminée bien avant sa naissance. Le renégat qui porte un masque, le marginal qui nous dévoile les cultures par lesquelles il a été formé, est-il au fond autre chose qu'un clown qui nous divertit ?
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43 BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE
Kureishi, Hanif :
Sur Kureishi :
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(réf. Etudes Britanniques Contemporaines n° 1. Montpellier: Presses universitaires de Montpellier, 1992)