Ebc04

résumés / abstracts

   

Abstracts available :

Jean-Michel Ganteau, "Sea, Sex and Sin : la Méditerranée et ses avatars dans les romans de David Lodge."
Peter Conradi, "Iris Murdoch and the Sea."
Corinne Alexandre-Garnier, "Alexandrie : pourquoi ? dans Le Quatuor d'Alexandrie de Lawrence Durrell."
Christine Reynier, "Venise dans The Passion de Jeanette Winterson."
Jean-Louis Picot, "Bujak and the Strong Force or God's Dice de Martin Amis : la bombe et le carnaval."

Sea, Sex and Sin : La Méditeranée et ses avatars dans l'Oeuvre de David Lodge

Jean-Michel GANTEAU (Montpellier III)

Le motif de la Méditerranée et ses avatars permettent d'explorer l'évolution de l'attitude de David Lodge à l'égard du catholicisme et de la tradition du roman catholique anglais. Dans les premiers romans, la Méditerranée est en effet associée au pôle de l'hédonisme et véhicule toute une thématique d'opposition à l'autorité frustratrice de l'Eglise. Cependant, dans Paradise News, le dernier roman de Lodge dans lequel la place accordée au catholicisme est prépondérante, la Méditerranée est remplacée par le Pacifique et l'introduction de cette évolution permet de faire exploser la tension initiale entre refoulement et défoulement pour aboutir à une réconciliation inattendue des antinomies. Dans ce dernier roman, Lodge associe à travers le symbole du surfeur spiritualité et animalité et affirme l'avènement d'un nouvel humanisme et d'une unité d'être. Parallèlement, certains motifs et topoï du roman catholique traditionnel se trouvent déformés ou inversés. Tout ceci nous semble attester un renouvellement du genre sous le plume de David Lodge.


Iris Murdoch and the Sea

Peter Conradi (Kingston University)

This paper discusses the novels and philosophy of Iris Murdoch in relation to water. It begins with the Mediterranean, then moves towards a resumé of Murdoch's philosophy and moral psychology, and then returns to the themes of water in general, and the sea in particular. In this movement, the essay mimics a number of the novels, which literally return to the sea in their final pages. In the early part of the essay, Murdoch's relations with Valéry's Cimetière Marin and to the philosophy of Sartre are considered, especially the latter's preoccupation with the "viscous", which is contrasted with Murdoch's interest in swimming, as two opposed ways of describing the Sublime. An analysis of Murdoch's Booker-Prize winning novel The Sea then follows. "The sea is the ideal concrete metaphor for Murdoch's own Ozeanisches Gefühl, the zone of contengency, the mother of forms, a figure for the sublime, pointing alike to the changeability and to the beauty of the world we share, but which we do not, in her view, in our confusion and anxiety, always accurately apprehend".


Alexandrie Pourquoi ? dans The Alexandria Quartet de Laurence Durell

Corinne ALEXANDRE-GARNIER (Université Paris X)

Chassé de Grèce par la guerre, Lawrence Durrell arrive en Egypte en 1941 où il s'installe au Caire puis à Alexandrie où il rencontre d'autres intellectuels anglo-saxons (G. Williams, H. Spencer, R. Liddell, H. Edwards).

Lawrence Durrell devint un des étrangers célèbres de l'Alexandrie cosmopolite d'alors. Là, il fut terriblement blessé par l'échec de son premier mariage et la disparition de sa fille. Muré dans une tristesse qui l'empêchait d'écrire, il n'aima pas la ville qu'il semble pourtant décrire avec une sensualité amoureuse dans The Alexandria Quartet, texte qu'il va porter en lui pendant près de dix ans et qui ne pourra s'écrire que d'un lieu éloigné de la ville et du deuil qui s'y inscrit.

Il faut comprendre cette gestation et interroger l'esprit des lieux quasi mythique greffé au sein de l'imaginaire de l'artiste qui donnera au monde un des plus beaux romans du vingtième siècle, pour pénétrer au coeur de la ville envoûtante que le roman révèle comme un mystère.

Alexandrie, pourquoi ?

Alexandrie est un prétexte à un magnifique "poème en prose" mais est-elle vraiment la ville du Quatuor ? Au début du roman, on peut lire "only the city is real" et non "Alexandria is real". Au lieu même de la ville qui donne son nom au roman, une ambiguïté fondamentale s'installe.

Si Alexandrie, dans le roman, n'est pas la ville réelle, c'est une représentation en deux dimensions de ses mythes fondateurs où les conjugaisons de l'amour sous toutes ses formes sont décrites, mais c'est surtout le projection d'un espace psychique où la création littéraire prend sa source. L'espace de la ville souterraine, engloutie et souvent oubliée, creuset de l'origine, rappelle aussi à nos mémoires l'histoire de la fondation de la ville.

Plutarque raconte l'origine de la ville-palimpseste. On traça sur le sol le plan de le ville non avec de la craie, mais avec de la farine d'orge et dans un terrible bruissement d'ailes, les oiseaux de delta s'abattirent sur ces lignes de fondation pour les dévorer. Ainsi la ville fut-elle prédestinée, comme le texte de Durrell, par la disparition symbolique qui la fonde et le foisonnement qui la cache.

Dans cette matrice archaïque, au croisement du temps et de l'espace, l'auteur a perdu une partie de lui-même, et s'il semble trouver l'amour et l'écriture qui, dans le prolongement du rêve d'Alexandre, réconcilieraient enfin l'Orient et l'Occident, c'est dans le deuil inscrit dans la magie des lieux dont le texte porte trace.


Venise dans The Passion de Jeanette Winterson

Christine REYNIER (Université Michel de Montaigne - Bordeaux III)

Ambiguïté, intertextualité et modernité sont au coeur de The Passion, roman publié en 1987. Celui-ci peut apparaître comme une nouvelle version d'Orlando puisqu'il met en scène un personnage androgyne et qu'à la manière du roman de Virginia Woolf qui nous fait traverser l'histoire de moeurs et de la littérature anglaises, le livre de Jeanette Winterson nous transporte dans l'ère napoléonienne, nous fait voyager de Boulogne à Moscou en passant par Venise tout en convoquant la littérature universelle de la Bible aux légendes irlandaises, de l'Arioste à Pouchkine, et ce avec la subtilité et surtout l'esprit, l'humour et al fantaisie qui caractérisent Orlando.

Au centre du texte se trouve Venise, "reine de l'Adriatique", "souveraine de la Méditerranée". Dans sa représentation de la cité des doges, l'auteur emprunte beaucoup à la cité historique ainsi qu'au mythe dont celle-ci s'est entourée tout en transformant l'espace en un espace signifiant au symbolisme multiple. Venise, creuset de toutes les passions (passion amoureuse, passion christique, passion du jeu) fonctionne comme un véritable espace psychique. Enfin, cet espace où les frontière entre le réel et l'imaginaire sont brouillées se confond avec l'espace du texte, espace ambigu et labyrinthique, espace du je(u).


Bujak and the Strong Force or God's Dice de Martin Amis : la bombe et le carnaval

Jean-Louis PICOT (Université Nancy II)

Dans "Thinkability", l'essai introductif à Einstein's Monsters dont est extraite la nouvelle qui nous intéresse, Martin Amis dresse le bilan effrayant des conséquences épistémologiques de la seule existence du fait nucléaire sur la pensée et les comportements humains. Basée sur la dissuasion, c'est-à-dire l'épouvantail de la frappe en retour, la pensée nucléaire induit une radicalisation de la dualité en exacerbant la violence réactive. Cette logique du Talion (retaliation) nous est présentée comme l'impasse de la pensée. En témoigne le syllogisme fou de l'échec de la dissuasion. "He, thinking I was about to kill him in self-defence, was about to kill me in self-defence. So I killed him in self-defence." Deux logiques très exactement inverses, donc très exactement semblables s'affrontent, et par conséquent s'annulent. Dans l'aporie absolue de la nouvelle réalité nucléaire, le nécromonde devient le théâtre d'un carnaval macabre où s'agitent des pantins désarticulés en proie à des terreurs millénaristes.

Ce constat de moraliste trouve son illustration fictionnelle dans "Bujak", où Martin Amis explore les moyens narratifs susceptibles de mimer la schizophrénie qu'il a diagnostiquée dans les comportements primaires de la société post-nucléaire (c'est-à-dire, d'après 1945). Bujak le géant, doué d'une force titanesque y est la figure allégorique d'un monde soumis à l'implacable logique de l'altérité radicale. Ours de carnaval, roi d'un monde de carnaval ("West London, carnival country") lui-même perdu dans le carnaval des galaxies, il cristallise sur son personnage toute l'ambivalence du phénomène carnavalesque. Phénomène de libération, mais en même temps phénomène éminemment répressif, c'est en effet la figure idéale pour explorer les impasses de la dualité en même temps que leurs échappatoires.

Ainsi, l'étude de la structure de la nouvelle révèle l'existence d'une évolution diégétique, dont la charnière est la scène primitive du meurtre quasi rituel de la famille du héros par deux produits monstrueux de la société post-nucléaire, vers une tentative d'équilibration finale présentant toutes les caractéristiques du carnaval apaisé dont parle M. Bakhtine dans son étude sur Rabelais. En refusant la catharsis tragique, c'est aussi l'univers discursif stable et intégré qu'elle présuppose que M. Amis remet en cause. Cette tentative d'équilibration passe par un travail de brouillage générique caractéristique de l'écriture carnavalesque telle que la conçoivent Bakhtine et Auerbach, et en particulier par le gauchissement d'un système allégorique trop parfait pour être honnête. Elle prend aussi la forme d'un travail sur les figures de l'espace qui permet l'effacement final de toutes les formes de cloisonnement. W. 11 devient ainsi, dans les dernières pages de la nouvelle, une place publique carnavalesque où règnent la fusion et l'extase. Une déterritorialisation similaire s'opère à l'échelle cosmologique, à travers l'évocation d'un univers dont l'évolution serait rythmée pas l'oscillation entre Big Bang et Big Crunch.

Enfin, la langue elle-même est l'objet d'un travail de carnavalisation permettant de remettre en cause la toute-puissance de la dualité dans le monde post-nucléaire. Ainsi peut-on voir dans l'accumulation des métaphores, figures de continuité selon Jakobson, et dans le recours fréquent à la synesthésie, autant de moyens d'instaurer un continuum de l'image et de la sensation susceptible de faire contrepoids à la glorification de l'altérité radicale que représente le fait nucléaire. Ce travail de nature poétique n'est-il pas l'indice d'un projet romantique de réenchantement du monde ?