Ebc28

 résumés / abstracts

Vanessa Guignery : "The Book of Mrs Noah (1987) de Michèle Roberts: un roman aux sentiers qui bifurquent"
Sophie Cartier : "La représentation de Londres chez Peter Ackroyd: l'origine comme parcours des possibles"

Frédérique AMSELLE"Les lieux du temps: contours du moi dans l'autobiographie et le journal de Virginia Woolf"

Caroline Marie : " 'The strangest transformation took place': parcours, détours et bifurcations dans Orlando de Virginia Woolf "
Aude Ferrand : "Revisiting Beatrix: Intertextuality, Tradition and Modernity in Evelyn Waugh's Brideshead Revisited"
Sophie Mantrant : "Mervyn Peake's Gormenghast novels: a baroque hostility to straight lines"
Catherine Miquel : "Quand Salman cherche à faire mauvais genre : analyse des genres dans Fury, de Salman Rushdie"
Christine Reynier : "Atonement de lan McEwan ou le désir d'expiation d'un écrivain"
Jennifer Johnson at the Sorbonne, 19 November 2004

Résumé des articles/abstracts of articles

  

P. 1. The Book of Mrs Noah (1987) de Michèle Roberts: un roman aux sentiers qui bifurquent (V. Guignery)

Cet article se propose d'analyser les tours et détours de la narration dans The Book of Mrs Noah de Michèle Roberts où la ligne narrative principale, elle‑même serpentine, est sans cesse interrompue par des lignes secondaires, digressives, qui semblent retarder indéfiniment la perspective d'un telos. L'étude porte d'une part sur les figures de l'entropie en tant que désordre, brouillage et régression, et d'autre part sur la structure répétitive et circulaire de l'ouvrage. Il ressort de cette rencontre de forces contradictoires un parcours résolument créatif qui mène à l'avènement d'écrivains et d'écritures, et célèbre la "vitalité du chaos" (Glissant).

 The Book of Mrs Noah (1987) by Michèle Roberts: a novel of forking paths

This paper aims at analysing the twists and turns of the narration in The Book of Mrs Noah by Michèle Roberts, in which the main narrative serpentine line is endlessly interrupted by secondary, digressive lines which seem to delay infinitely the perspective of a telos. The analysis will focus on the one hand on the manifestations of entropy as disorder, blurring and regression, and on the other hand on the repetitive and circular structure of the book. A resolutely creative journey emerges from this clash of contradictory forces, which leads to the advent of writers and writing experiences and celebrates the "vitality of chaos" (Glissant).


P. 21. La représentation de Londres chez Peter Ackroyd: l'origine comme parcours des possibles (S. Cartier).

L'oeuvre de Peter Ackroyd est une oeuvre nostalgique en quête de l'origine d'une anglicité dont l'auteur fouille principalement la mémoire textuelle, parcourant ainsi le corpus de l'héritage littéraire anglais. La dimension spatiale du terme de "parcours" prend toute son importance chez Ackroyd qui ancre la quasi‑totalité de son oeuvre à l'intérieur de l'espace londonien. Londres s'impose comme l'habitat de la mémoire, _143 comme le lieu où le temps bascule dans l'espace. Londres apparaît par conséquent comme un espace intertextuel vaste et labyrinthique dans lequel les personnages errent et se perdent, leurs itinéraires aléatoires révélant la difficulté éprouvée par l'auteur à fournir une représentation exhaustive du canon littéraire anglais. L'analogie établie entre la forme de l'oeuvre et celle de la ville révèle une esthétique de l'excès qui condamne peu à peu les personnages à l'immobilité. Face à cette faillite du schéma et pour que le voyage vers l'origine puisse reprendre, Ackroyd choisira d'effectuer un détour par la fragmentation de la ville, chaque morceau entretenant une relation synecdoquique avec l'ensemble de l'espace urbain, et donc de la tradition. L'ceuvre se change dès lors en un système répétitif qui, en même temps qu'il met en valeur la multiplicité des origines de cette tradition littéraire, permet à l'auteur de trouver sa propre voie/voix.

Peter Ackroyd's representation of London: a journey through the origins of the English literary tradition.

Peter Ackroyd's work is a nostalgic work in search of the origins of England's cultural tradition. Ackroyd mainly searches England's textual memory, striving to circumvent the English literary heritage. Since London is the place where almost all the work takes place, it seems to the reader that Ackroyd literally travels through this heritage. London is a site of memory, a place inhabited by memory. London thus appears as a vast labyrinthine space in which the characters wander and get lost, their uncertain itineraries showing how difficult it is for the author to give an exhaustive representation of the English literary canon. The work's aesthetics of excess, highlighted by the analogy between the work's and the city's form, gradually brings the characters to a standstill. As no comprehensive representation of London can be given, and in order to allow the characters and the work to resume their journey, Ackroyd has no choice but to make a detour which consists in breaking up the city, each fragment keeping up a synecdochic relationship with the whole urban space, i.e. with the whole tradition. The work thus becomes a system based on repetition which makes it clear that the origins of the English literary tradition are several, and at the same time allows the author to find his own way, that is to say his own voice.


P. 33. Les lieux du temps: contours du moi dans l'autobiographie et le journal de Virginia Woolf (F. Amselle).

"22 Hyde Park Gate", "Old Bloomsbury", "Warboys", "Carlyle's House": les lieux du temps dans Moments of Being et le journal intime de Woolf font plus que dessiner une 144 (au)topographie , ils sont également de véritables repères temporels. L'association de _. topos et chronos structure le récit, et se retrouve dans le processus d'écriture autobiographique: la visée n'y est pas toujours rétrospective et nous montrerons que l'empreinte du temps est souvent celle de la mort. Les manuscrits deviennent ainsi le topos d'une impossible mise en mots de soi, car confrontée au temps. Cette association de topos et chronos laisse alors entrevoir dans le surgissement des écritures personnelles un compromis esthétique, celui d'une météorologie du moi.

Tunes and places: outlines of the self in the autobiography and the diary of Virginia Woolf.

"22 Hyde Park Gate", "Old Bloomsbury", "Warboys", Carlyle's House" ‑ places in Woolf's Diary and Moments of Being are not mere landmarks of her fragmented path, but also associate spatial and temporal dimensions in order to structure the text. The retrospective character of autobiographical writing is counterbalanced by the omnipresence of death. In addition, the manuscripts ‑ which can be read as topographical maps ‑ reveal Woolf's difficulty to put her self into words. Finally, this link between time and place, related to everyday writing, leads to an aesthetic compromise: a meteorology of the self.


P. 45. "The strangest transformation took place": parcours, détours et bifurcations dans Orlando de Virginia Woolf (C. Marie).

Dans Orlando, Virginia Woolf remet en question la métaphore traditionnelle de la vie comme parcours. En empruntant à la pantomime la technique de la transformation à vue, elle délaisse le cheminement linéaire et graduel et dessine un feuilletage temporel, psychologique et mental. En effet, le détour analogique, proche du "montage intellectuel" théorisé par Eisenstein, constitue paradoxalement un raccourci conceptuel. Tel un déclencheur de mémoire, il invite la conscience à parcourir un feuilletage temporel qui évoque la conception bergsonienne de la durée. Le changement à vue permet ainsi une modélisation des rapports de l'être au monde conçus comme un réglage perpétuel. La nature mécanique de la transition spatio‑temporelle, en raison de sa connotation déterministe, appelle une articulation avec les concepts de création et de liberté, mettant au jour une profonde affinité entre Orlando et la philosophie d'Henri Bergson.

 "The strangest transformation took place": turning this way and that in Virginia Woolf's Orlando.

In Orlando, Virginia Woolf questions the traditional metaphor of life as a journey. She draws from pantomime transformation scenes to depict life as revolutionary branching rather than mere detours that would bring the character back to his original course. Woolf's "changes of scenes", like Serguei Eisenstein's "intellectual montage", entail 145 conceptual shortcuts. Such paradoxically direct twists and turns guide the character among the layers of his/her laminated memory so that the novel models the relationship between Orlando and reality as relentless re‑focusing. Virginia Woolf's depiction of life and art as revolutionary forking calls for a comparison with Henri Bergson's conception of duration, creation and freedom.


 P 57. Revisiting Beatrix: Intertextuality, Tradition and Modernity in Evelyn Waugh's Brideshead Revisited (A. Ferrand).

Evelyn Waugh was a staunch supporter of traditional values, in a world which, according to him, was going down the wrong track ‑ that of modernism. Brideshead Revisited can thus be (re‑)placed in Western tradition but its modem dimension needs also to be underlined. The starting point of the present paper is the underlying link between the novel and the painting Beata Beatrix, by Dante Gabriel Rossetti, which eventually brings the reader back to Dante Alighieri and the Bible. To what extent do the several intertextual references, more or less explicit in the novel, plunge the reader into a chamber of echoes? What meaning do they convey?

 Intertextualité, tradition et modernité dans Brideshead Revisited d'Evelyn Waugh's.

Dans le monde chaotique d'après‑guerre, Evelyn Waugh apparaît comme un garant d'une tradition oubliée et décriée par la jeune génération et son "modernisme". Dans cet article, nous essaierons de (re‑)donner à Brideshead Revisited sa place dans le tradition occidentale tout en montrant son caractère indéniablement moderne. Pour ce faire, nous avons choisi de souligner le lien sous‑jacent entre le roman et le tableau Beata Beatrix, de Dante Gabriel Rossetti, qui fait remonter le lecteur jusqu'à Dante Alighieri et la Bible. Dans quelle mesure les références intertextuelles, plus ou moins explicites dans le roman, plongent‑elles le lecteur dans ce qui apparaît comme étant une véritable chambre d'échos? Quelles voies signifiantes ouvrent‑elles?


P. 71. Mervyn Peake's Gormenghast novels: a baroque hostility to straight lines (S. Mantrant).

Can Peake's Gormenghast novels be termed baroque? This paper suggests the beginnings of an answer by examining one aspect which is usually considered a distinguishing feature of baroque art, namely, its marked preference for curves, broken lines, spirals or arabesques over straight lines. Peake's baroque resistance to the constraint of linearity is evidenced by two different types of "deviations": the numerous peripheral episodes or subsidiary diegetic strands and the countless lavish descriptions, both elements throwing into relief Peake's baroque urge to show all. A close examination of these deviations leads to more reflections on the opposition fixity/fluidity in the novels, the stress being laid on the metamorphic quality of the gigantic imaginative world created by Peake.

 Peake et le baroque: l'hostilité aux tracés linéaires dans la trilogie de Gormenghast.

La trilogie de Peake peut‑elle être qualifiée de baroque? Cet article ne prétend pas apporter de réponse catégorique à cette question, mais étudie un aspect de l'oeuvre qui est traditionnellement considéré comme caractéristique de l'art baroque, à savoir l'hostilité aux lignes droites, auxquelles le baroque préfère les courbes, lignes brisées, spirales et arabesques. Deux éléments mettent en évidence cette hostilité aux tracés linéaires dans les romans de Peake: la multitude d'épisodes périphériques ou d'intrigues secondaires d'une part et, de l'autre, la profusion de descriptions luxuriantes. Peake semble vouloir montrer le monde créé dans sa totalité, sans omettre le moindre détail. L'étude de ces deux types de "déviations" conduit à une réflexion plus générale sur l'opposition fixité/fluidité dans l'oeuvre, réflexion qui s'intéresse en particulier aux métamorphoses incessantes du monde gigantesque imaginé par Peake.


P. 83. Quand Salman cherche à faire mauvais genre: analyse des genres dans Fury, de Salman Rushdie (C. Miquel).

Cet article utilise le terme "genre" dans son acception française de "forme littéraire codée", mais également dans son acception anglaise de gender, pour proposer une analyse du dernier roman en date de Salman Rushdie, Fury. La critique l'ayant accueilli plutôt fraîchement, l'analyse est aussi comparative, établissant des contrastes et des parallèles avec les autres oeuvres qui composent ce qu'on peut d'ores et déjà appeler le "canon rushdien". Rushdie utilise ici différents genres littéraires, qu'ils soient nobles (satire, essai, autobiographie) ou "populaires" (roman noir, journaux à sensation), et cet article problématise la co‑existence des deux catégories ("the highbrow and the dross") au sein d'une ceuvre qui se veut "littéraire". Il examine aussi l'impact d'une focalisation masculine presque unique sur la représentation des personnages féminins dans le roman.

 "Halfway between the highbrow and the dross": An Analysis of Genre and Gender in Salman Rushdie's Fury.

Several critics consider that Salman Rushdie's most recent novel to date, Fury, is not quite up to the high standard set by his other novels, and this essay uses the notions of genre and gender to offer an analysis of the novel which cakes into account Rushdie's previous production. Faithful to his interest in hybridity and cross‑pollination, Rushdie uses a number of genres, ranging from the lowest kind of sleazy journalism to the lofty 147 intellectualism of the essay, and he dramatises the problem of thus mixing "the highbrow and the dross" by using the self‑reflexive device of a character who, as a writer, intends to produce "middlebrow" fiction. Yet in Fury this blurring of generic limits is arguably much less successful than in his earlier works. In his female characters (whether they be fictitious, or, like Monica Lewinski, borrowed from "real life"), one can also detect a change, since they are more sketchily constructed than female characters in previous novels, and since, although many of them are presented as modem, "liberated" women, their representation is not exempt of male prejudices and clichés.


P. 101. Atonement de lan McEwan ou le désir d'expiation d'un écrivain (Ch. Reynier).

Atonement (2001) se veut être une justification par l'auteur de ses choix esthétiques et une réflexion sur la responsabilité de l'écrivain et son engagement. Cet article se propose de montrer comment le travail de la citation permet au texte de se tisser et de dépasser les simples enjeux du récit. On verra comment l'auteur cite Woolf et comment les deux événements majeurs du roman deviennent l'occasion d'explorer l'esthétique moderniste et de la confronter à celle dont se réclame McEwan. On tentera de montrer comment l'horizon d'attente de cet écrivain‑lecteur oriente sa lecture des modernistes ainsi que le débat qu'il entame sur la nécessité de l'engagement de la littérature.

 Atonement or McEwan's Vicarious Atonement for the Modernists' Sins.

In Atonement, Ian McEwan indirectly justifies his aesthetic choices while carrying out a reflection on the artist's responsibility. This paper means to show that this is done through the weaving in of citations, either in presentia or in absentia. Woolf especially is mentioned and two of the major events in the narrative become a pretext for a confrontation of the author's own aesthetic with Woolf's modernist one. The author's "horizon of expectation" will be discussed as well as the way in which it influences his (mis)reading of modernist aesthetics and ethics.