Ebc20

 résumés / abstracts

 

V. Guignery, "Du psittacisme à l'émancipation ? La transtextualité flaubertienne dans Flaubert's Parrot de Julian Barnes"
D. Girard, "L'hypnérotomachie de Denton Welch"
J. Hentges, "Entre rêve et réalité : progrès et plénitude dans Nights at the Circus et Wise Children de Angela Carter"
C. Hoffmann, "Les mines d'or chimériques de Futility de William Gerhardie"
J. M. Ganteau, "Compte à rebours narratif: Martin Amis, D. M. Thomas, William Golding et les autres"
S. Mikowski, "Réalisme et défamiliarisation dans les romans de William Trevor"
F. D'Souza, "Une version post-coloniale de contes animaliers traditionnels par Vikram Seth"
M. Duclos, "Deux approches chamaniques dans la poésie contemporaine : Ted Hughes et Kenneth White"

 

Du psittacisme à l'émancipation ? La transtextualité flaubertienne dans Flaubert's Parrot de Julian Barnes (V. Guignery).

 

Flaubert's Parrot de Julian Barres met en oeuvre une circulation étourdissante des textes de Gustave Flaubert et fonctionne donc sur le mode de la transtextualité flaubertienne. Le propos consiste ici à déterminer si les formes récurrentes de métatextualité, d'intertextualité et d'hypertextualité telles que Gérard Genette les a définies, emprisonnent le narrateur dans un psittacisme sclérosant où la voix de Flaubert ne cesse de dominer, ou bien si Julian Barnes parvient à s'émanciper du maître et à faire entendre une mélodie singulière et inédite.

 

From repetition to emancipation? Flaubertian transtextuality in Flaubert's Parrot by Julian Barnes.

 

Flaubert's Parrot by Julian Barres is characterized by an exhilarating circulation of texts by Gustave Flaubert and thus develops along the lires of Flaubertian transtextuality. The aim of this paper is to decide whether the recurrent forms of metatextuality, intertextuality and hypertextuality, as Gérard Genette defined them, imprison the narrator in ossifying repetitions where Flaubert's voice prevails, or if Julian Barnes manages to break free from the master and to compose a specific and original tune.


L'hypnérotomachie de Denton Welch (D. Girard)

 

Cette étude a pour but de faire (re)découvrir l'œuvre de Denton Welch (1915-48) : trois romans publiés dans les années quarante (Maiden Voyage, In Youth ls Pleasure et A Voice Through a Cloud), un journal et divers fragments dont la seule étude sérieuse fut dans les années 70 la thèse de Jean-Louis Chevalier. Ces romans qui racontent à peu près toujours la même histoire et sont tout à fait exempts de sentimentalité interrogent le lecteur "moderne" comme celui des années 2000, mais d'une manière nouvelle, sur le processus cognitif de la perception, comme le fit à sa manière le livre d'Aldous Huxley, The Doors of Perception (1954). L'auteur de l'article tente également de dresser une typologie des images dans la fiction contemporaine pour l'appliquer à une exploration de la mécanique des livres-images de Welch, lus ici comme des hypnérotomachies. Au-delà des obsessions d'un auteur ultra-moderne, une poétique obscène de la représentation à découvrir : "Nothing was real. I was wrapped in a dream of warped images."

 

Denton Welch's hypnerotomachia

 

In this study, the author aims at (re)introducing Denton Welch's work on the literary trop: three novels, all published in the 40's (Maiden Voyage, In Youth Is Pleasure and A Voice Through a Cloud), a diary and various fragments that only French critic Jean-Louis Chevalier thoroughly examined for his PhD thesis in the 70's. All the novels by Denton Welch (1915/48) more or less tell the same story again and are totally devoid of sentimentality. They challenge the "modem" reader's cognitive process of perception (as well as that of readers of the year 2000) in a manner not unlike Aldous Huxley's in The Doors of Perception (1954). The author of the article also attempts to establish a typology of literary images in contemporary fiction so as to explore the mechanics of Welch's "picture-books," considered here as hypnerotomachia. Beyond the obsessions of an arch-modern writer, some obscene poetics of representation to discover: "Nothing was real. I was wrapped in a dream of warped images."


Entre rêve et réalité : progrès et plénitude dans Nights at the Circus et Wise Children de Angela Carter (J. Hentges)

 

Née à Eastbourne pendant la guerre, Angela Carter meurt prématurément en 1992, laissant derrière elle plusieurs recueils de nouvelles, un long essai sur Sade, de nombreux articles et neuf romans. Tous ses romans parlent de rêve et de réalité mais ce n'est que dans les deux derniers, Nights at the Circus (1984) et Wise Children (1991), que rêve et réalité deviennent, dans une certaine mesure, synonymes de progrès et de plénitude. Sa période de déconstruction terminée, Carter se tourne dans ces romans-ci vers la reconstruction. Elle crée un monde carnavalesque où le discours de la société patriarcale n'a plus droit de cité et où la position excentrique et marginale toujours occupée par les femmes se transforme de position de faiblesse en position de force. Qu'il s'agisse du cadre temporel et spatial, des personnages ou du langage, le carnavalesque est présent à tous les niveaux, même au niveau du mode d'écriture qu'adopte Carter, celui du réalisme magique.

 

In between dream and reality: progress and plenitude in Angela Carters Nights at the Circus and Wise Children

 

Born in Eastboume during the war, Angela Carter died an untimely death in 1992 leaving behind her several collections of short stories, a long essay on Sade, numerous articles and nine novels. The theme of dream and reality is to be found in all her novels but it is only in the last two. Nights at the Circus (1984) and Wise Children (1991), that it becomes, to a certain extent, synonymous with progress and plenitude. Having finished with deconstruction, in these two novels Carter starts to think about reconstruction. She creates a carnivalesque world in which the established discourse of patriarchal society no longer takes pride of place but loses ground when faced with the multitudinous voices of misfits and outsiders, mainly women, whose eccentric position is no longer one of weakness but one of strength. The carnivalesque is present not only in Carter's use of time and space, in her characterization and language, but also in the mode of writing she adopts magic realism.


Les mines d'or chimériques de Futility de William Gerhardie (C. Hoffmann)

 

Futility, le premier roman de Gerhardie, publié en 1922 et bien accueilli à l'époque, semble exprimer l'atmosphère caractéristique de la littérature de l'après-guerre, dominée par le désenchantement et la perte de foi dans l'action et le progrès. Ce sont toutefois des modèles russes antérieurs, en particulier les Trois soeurs de Tchekhov, qui ont fourni à Gerhardie sa principale source d'inspiration thématique et esthétique. Dans Futility, la propension des êtres humains à investir dans un avenir qui se dérobe toujours, au lieu de goûter leur vie présente, est incarnée dans le leitmotiv des mines d'or sibériennes de Nikolai Vasilievich. Leur rentabilité chimérique, dont dépendent tous les espoirs des personnages, est emblématique de la disproportion entre l'objectif et le résultat, qu'il s'agisse de l'inutilité des démarches individuelles ou de la vanité de l'intervention alliée en Russie qui forme l'arrière-plan historique de l'œuvre. Cependant, Futility n'est pas seulement un roman de l'échec et du temps perdu: c'est aussi le récit de la formation d'un jeune écrivain qui, après avoir découvert le lien entre la vie et la littérature, doit donner forme artistique à l'expérience insaisissable de l'existence.

 

Elusive gold-mines in Gerhardie's Futility

 

Futility, Gerhardie's first novel, published in 1922 and much praised at the time, seems to express the mood of disillusionment with hope, human action and progress characteristic of postwar literature. However, it owes much, thematically and aesthetically, to earlier Russian models, in particular to Chekhov's Three Sisters, whose influence is explicitly acknowledged. In Futility, the propensity of human beings to invest heavily into an elusive future instead of living in the present is embodied in the leitmotiv of Nikolai Vasilievich's Siberian gold-mines. Their always deferred profitability, upon which hang all the characters' hopes, is emblematic of the gulf between expectation and achievement, whether at the level of individual characters, or at the level of history. Inefficiency and futility characterize both individual undertakings and the allied intervention in Russia which forms the backdrop of the novel. Yet, besides being a narrative of failure and time wasted, Futility also relates a young man's progress towards discovering the relationship between life and literature, and towards becoming a writer, capable of giving artistic form to the elusiveness of human experience.


Compte à rebours narratif: Martin Amis, D. M. Thomas, William Golding et les autres (J.-M. Ganteau)

 

Cet article s'attache à examiner les manifestations du compte à rebours dans un corpus représentatif de la production romanesque contemporaine, outre-Manche. Il tente d'explorer comment, dans une certaine pratique postmoderne de la représentation, le roman brouille les cartes du rêve et de la réalité, en termes de progrès narratif (comme métaphore d'un progrès épistémologique). Ainsi, un certain nombre de textes s'emploient précisément à compter, à égrener ou à arpenter pour mieux suggérer, précisément, que rien ne peut l'être ; comme si le compte à rebours utilisait une illusion de progrès narratif pour mieux cerner les dimensions d'un achoppement de cette quête. Cette exploration est conduite en trois étapes. Elle envisage tout d'abord les modalités de la mise en place d'un sentiment de certitude, ingrédient consubstantiel au compte à rebours ; ensuite, l'examen des caractéristiques et effets rythmiques de cette figure; enfin, les effets et valeurs qui en découlent, en termes de sensationnalisme, d'expressionnisme et de présentation de l'émotion venant remplacer, ou tout simplement prolonger, les modalités d'une représentation traditionnelle.

 

Narrative Count Down : Martin Amis, D.M. Thomas, William Golding and some others

 

This article is concerned with sortie manifestations of narrative count down in some British novels representative of contemporary production. Its purpose is to explain how contemporary fictional representation promotes a blurring between the spheres of dream and reality by focusing on narrative progress – as a metaphor of epistemological progress. The texts studied in those pages are based on the figures of counting and measuring, used the better to suggest that nothing may be measured, precisely; as if narrative count down were meant to build the illusion of narrative progress the better to underline the failure of such a quest. The first part of the article concentrates on the feeling of certainty that is consubstantial to the emergence of the count down; the second part is devoted to the formal and rhythmical characteristics of the figure; the last part is concerned with the effects and value of narrative countdown, in terms of expressionism or sensationalism and focuses more especially on the presentation of emotion as an adaptation and expansion of traditional mimesis.


Réalisme et défamiliarisation dans les romans de William Trevor (S. Mikowski)

 

Si les romans de William Trevor suscitent peu l'attention des chercheurs c'est parce qu'ils semblent utiliser les procédés réalistes traditionnels répertoriés par Philippe Hamon dans ce qu'il a nommé "le cahier des charges du réalisme." On veut montrer ici que c'est justement grâce à une application minutieuse, obsessionnelle et donc à la limite de l'excès de ces procédés que l'écrivain anglo-irlandais parvient à un résultat en contradiction absolue avec le projet réaliste, c'est-à-dire qu'au lieu d'attribuer un sens circonscrit au réel, il crée des personnages et des situations où l'emportent l'absurde et le questionnement sans fin.

 

Realism and defamiliarisation in William Trevor's novels

 

The lack of critical attention directed at William Trevor's novels might be due to the fact that they seem to rely entirely on a set of traditional realist devices, such as those described by Philippe Hamon in what he called the "realist contract." The aim of the paper is to show that it is precisely thanks to the obsessive observance of these terms, which always verges on excess, that Trevor succeeds in creating a world in absolute contradiction with the realist project since, instead of providing the real with a circumscribed meaning, he stages characters and situations which arouse a strong sense of the absurd and infinite questioning.


Une version post-coloniale de contes animaliers traditionnels par Vikram Seth (F. D'Souza)

 

Des liens entre les Beastly Tales from Here and There de Vikram Seth et les contes animaliers populaires de l'Inde, de la Chine, de la Grèce, de l'Ukraine, aussi bien que de la terre imaginaire de "Gup," sont clairement visibles. Une influence du Livre de la Jungle de Kipling et de Haroun and the Sea of Stories de Rushdie est également présente dans le texte de Seth. Pour opérer sa réécriture subversive des contes animaliers traditionnels, Seth utilise deux procédés : une approche parodique et transgressive du langage parle biais d'exagérations linguistiques ; et l'introduction d'une hybridité post-coloniale à travers une évacuation amorale et ambivalente de leur contenu didactique usuel, par l'incorporation d'entorses paradoxales à la structure narrative. Le résultat en est un dérèglement irrévérencieux de la rationalité, de la moralité reçue et des hiérarchies, où les questionnements semblent plus significatifs que les réponses.

 

Vikram Seth's post-colonial version of traditional animal tales

 

Links between Vikram Seth's Beastly Tales from Here and There, and popular animal tales from India, China, Greece, the Ukraine as well as the imaginary "Land of Gup" are clearly visible. The influence of Kipling's Jungle Books and Rushdie's Haroun and the Sea of Stories is also discernible in Seth's text. In his subversive rewriting of traditional animal tales, Seth uses two strategies: a rule-breaking, parodic approach to language, through linguistic excesses and exaggerations; and an introduction of post-colonial hybridity through an immoral, ambivalent debunking of their traditional, didactic content, by means of paradoxical twists and turcs in their narrative structure. The result is an irreverent disordering of rationality, accepted morality and hierarchies, where the questioning seems more important than the answer.


Deux approches chamaniques dans la poésie contemporaine :
Ted Hughes et Kenneth White (M. Duclos)

 

Poètes et essayistes, Ted Hughes (1930-1998) et Kenneth White (né en 1936) partent tous les deux en guerre contre l'esthétique des années 50 et 60 en Grande-Bretagne, mais dénoncent plus en profondeur la métaphysique dualiste (l'idéalisme platonicien pour White, le rationalisme et le protestantisme pour Hughes) qui en Occident a coupé la pensée de la terre. Tous deux marqués par une expérience personnelle et par l'essai de Mircea Eliade sur le chamanisme, ils découvrent dans cette pratique un remède potentiel au mal-être qui affecte notre culture. Mais, jusque dans leur cosmologie, leur anthropologie et leur esthétique, ils s'opposent sur les moyens (retour au mythe pour Hughes, développement d'une pensée-sensation chez White) et sur la possibilité aujourd'hui de réinsérer l'homme dans un contexte cosmique.

 

Shamanic traces in twentieth century poetry: Ted Hughes and Kenneth White

 

Both poets and essayists, Ted Hughes (1930-1998) and Kenneth White (born 1936) strongly opposed the neoclassical aesthetic of the Movement and Pop. More deeply, they stand against more than two thousand years of dualist metaphysics. Both were attracted by shamanism which views the poet as "medicine-man." But they differ radically in their approach to rationality and in the ways they see of reuniting thought and cosmos in our culture today as well as in their poetics.