Ebc19

 résumés / abstracts

 

 

Michel Morel, "Angels and Insects de A.S. Byatt : du "ha ha," du Père et de la clôture"
Marie-Pascale Buschini, "Les Mille et Une Nuits d'une narratologue : The Djinn in the Nightingale's Eye de A.S. Byatt "
Georges Letissier, "Gnawing at the great Ash's root: Norse myth in Possession"
Bernard Gilbert, "Pour une paternité sans rivage : le témoignage de Christopher Isherwood"
Dominique Vinet, "The avatars of the father in The Remains of the Day"
Marie-Odile Pittin-Hédon, "Figure(s) paternelle(s) : Iain Banks et l'intertextualité idéologique"
Richard Vidaud, "L'écriture palimpsestueuse d'Anita Brookner : de la transtextualité à l'autotextualité"
Eileen Williams-Wanquet, "The Wild Girl de Michèle Roberts : quel 'cinquième Evangile' ?"
Richard Pédot
, "Paternité fantastique dans les nouvelles de Graham Swift"
Jean-Michel Ganteau, "Du postmodernisme au romantisme : Time's Arrow de Martin Amis"

 

Angels and Insects de A.S. Byatt : du "ha ha," du Père, et de la clôture (M. Morel)

Angels and Insects est un récit double dont les événements sont situés à dix ans d'intervalle dans la seconde moitié du XIXe siècle. Darwin dans le premier récit et Swedenborg dans le second servent de référence idéologique contextuelle. Les deux parties traitent de la limite, limite dont la représentation physique est le "ha ha" présent dans le premier récit. Le "ha ha" ou la clôture cachée dont la présence masquée mais effective permet de dénoncer l'unité ethnocentrique d'un paysage où l'harmonie apparente entre nature et culture dissimule en réalité un ordre oppressif dont le deuxième récit dénonce les enfermements. Au delà de la reconstitution historique, cette méditation philosophique par fiction interposée pose la question de l'altérité et des limites non sues mais intensément opératoires de notre propre perception.

Angels and Insects by A.S. Byatt: the funk-fence and the father.

Angels and Insects is a twotier composition whose events are placed ai a ten-year distance in the second half of the XIXth century. The ideological background is provided by Darwin in the first story, and Swedenborg in the second. Both speak of limits, limits here embodied by the "ha ha" of the first story. The "ha ha" or the hidden fence whose concealed but effective presence allows the text to lay bare the ethnocentric unity of a landscape in which the apparent harmony between nature and culture actually keeps out of sight an oppressive order whose limitations the second story denounces. Beyond the historical reconstruction, such philosophical meditations by way of fiction put the question of otherness and the unwitting but fiercely operative limits within our own perception.


 

Les Mille et Une Nuits d'une narratologue : The Djinn in the Nightingale's Eye d'A. S. Byatt (M.-P. Buschini).

 

The Djinn in the Nightingale's Eye réactualise Les Mille et Une Nuits à travers le personnage d'une narratologue, Gillian Perholt. Il reproduit la structure des Nuits (récit cadre, récits enchâssés, autorité du narrateur et multiplicité des voix), établissant un parallèle entre conte traditionnel et pratique moderne du récit (récits oraux, procédés narratifs, protagonistes comme fonctions) adaptant et parfois subvertissant les thématiques. La relation entre conteur et auditoire, le pouvoir du langage et du récit sont mis en évidence, implicitement assortis d'une comparaison parfois ironique entre statuts traditionnel et moderne des contes et des conteurs / narratologues. Comme l'indique Todorov, raconter égale vivre mais le narrateur est aussi Dieu, Destin. La fascination du récit réside essentiellement dans son pouvoir de manipuler le lecteur mais encore dans le rappel constant de la permanence et de l'universalité de la condition d'homme à travers les destins particuliers.

A Narratologist's Arabian Nights: A. S. Byatt's The Djinn in the Nightingale's Eye.

The Djinn in the Nightingale's Eye is a modern version of The Arabian Nights featuring a narratologist, Gillian Perholt. Its structure is similar to chat of the Nights (frame narrative, embedded narratives, numerous narrative voices) and draws a parrallel between traditional tales and modem narrative practices (oral narratives, narrative devices, characters as functons), adapting themes and occasionally subverting them. The tale investigates the relationship between storyteller and audience, the power of language and narrative, suggesting a sometimes ironical comparison between the traditional and the modern status of tales and storytellers / narratologists. Todorov claims that to tell a story means to live; yet the narrator also acts as Fate, or God. The fascination of the story derives mostly from the narrator's power to manipulate the reader and insistence on the permanence and universality of the human condition despite the diversity of individual experience.


Gnawing at the great Ash's root: Norse myth in Possession (G. Letissier)

 

Possession is a postmodem romance that revives the many-faceted Victorian era with a special emphasis on tales and fables. The Norse myths, towards which Carlyle and Morris were to turn, answered to a genuine thirst for the irrational while reinforcing the sense of an Anglo-Saxon identity. In Byatt's fiction the use of the Norse myth contributes to create a patina effect that may be compared to the taste for the medieval element. The Norse myth also reinforces the organic unity of the multilayered and seemingly fragmented text. Finally the many allusions to the Northern cosmogony and eschatology throw into relief the metatextual comments on arbitrariness of beginnings and endings in fiction.

 

Ronger la racine du grand frêne (Yggdrasill): la mythologie nordique dans Possession.

 

Possession, roman romanesque (romance) postmoderne, ressuscite un passé victorien composite tout en accordant une place de choix à la fable et au conte. La mythologie nordique vers laquelle se tournèrent Thomas Carlyle et William Morris devait répondre à une soif d'irrationnel tout en renforçant un principe identitaire. Dans l'économie de la fiction, le mythe scandinave participe d'un effet de patine au même titre que le médiévisme. Il participe de l'organicité d'un texte protéiforme et fragmenté. Enfin les allusions à la cosmogonie et à l'eschatologie nordiques confèrent une résonance toute particulière aux commentaires métatextuels sur les l'arbitraire des débuts et des fins dans l'espace de la fiction.


Pour une paternité sans rivage: le témoignage de Christopher Isherwood (B. Gilbert)

 

Orphelin d'un père colonial tué à Ypres, livré à une mère grande prêtresse/grande traîtresse, Isherwood témoigne d'un accident dans la psyché anglaise. Son chemin de croix, qu'il transforme en chemin de Damas, peut se lire en trois étapes. La première est celle de l'ignominie; confrontation perverse de la mère et du fils, elle mène à la culpabilité, à la stase, à la mort. Puis vient le temps de la révolte de la vie - dans la réalité, dans la fiction. Mais les dés sont pipés : l'Europe s'immole, le fils s'excite. L'énigme est niée mais non résolue. Le sphinx est toujours debout. Sur ces ruines apparaîtra une lumière que l'on n'attendait plus. Le père fait retour, non comme refoulé mais comme grâce, arrachée au couteau. Tout était mal qui finit bien: la vie est passée, en force.

 

For a boundless fatherhood: the testimony of Christopher Isherwood

 

The orphan of a colonel killed at Ypres, left to a mother keeper/betrayer of home truths, Isherwood maps a time of crisis in the British psyche. His stations of the Cross can be grouped in three stages. The first one is that of ignominy, the perverse mother/son confrontation leads to guilt, stasis and death. Then comes the time of rebellion and life - in reality, in fiction. But the dice are loaded: the son leaves a sinking Europe. The enigma is dodged, not solved. The Sphinx remains unscathed. On those ruins, unexpectedly, the father will reappear, not as the suppressed figure, but as a grace bestowed on the resilient son. All was wrong that ends well: life has had its way.


The avatars of the father in The Remains of the Day  (D. Vinet)

 

In The Remains of the Day, Ishiguro seems to achieve the synthesis of two concepts through the dramatisation of the struggle between the Greek Ego and the Buddhist Non-Ego in the psyche of Stevens, the butter. The former, the concept of paternity, links the characters to a lineage, thus giving them a linear historical dimension which tends to progress and corresponds to the Judeo-Christian vision of the world. It presupposes the handing down of power, a father-son relationship which extends beyond the family cell and shows in worshipping habits and liturgy. It bas also been food for the psycho-analytical thought and paradoxically involves the - symbolic - murder of the father. The latter presents the cyclical vision of oriental cultures in which everyone is an element of the universe and caught in a vicious circle which must be broken for the curse to be lifted. This paper attempts at sifting through the narrative and the analepses for traces of the avatars of the father-figure and their alienating influence at the tangential points where the two concepts, the line and the circle, meet and clash.

 

Les avatars du père dans The Remains of the Day

 

Dans The Remains of the Day, Ishiguro semble offrir une synthèse de deux concepts en présentant au lecteur le spectacle du combat entre le Moi grec et le Non-Moi bouddhique dans la psyché du majordome Stevens. Le premier, le concept de paternité, inscrit les personnages dans une lignée, leur donne une dimension historique linéaire qui tend vers le progrès et correspond à la vision judéo-chrétienne du monde. Il suppose une passation de pouvoir, une relation père-fils qui dépasse la simple cellule familiale, s'inscrit dans la pratique religieuse et la liturgie. Il a nourri la pensée psychanalytique et suppose paradoxalement le meurtre - symbolique - du père. Le second est la vision cyclique d'une culture orientale dans laquelle chacun est élément de l'univers et pris dans un cercle vicieux dont il faut briser la malédiction. Cet article tente de retrouver, à travers la narration et les analepses du roman, les avatars du père et leur influence aliénante aux points de tangence où ces deux concepts, la ligne et le cercle, se confondent et se confrontent.


Figure(s) paternelle(s) : Iain Banks et l'intertextualité idéologique (M.-O. Pittin-Hédon)

 

L'article vise à souligner la centralité du concept d'origine pour la littérature écossaise contemporaine, en s'appuyant sur Complicity, d'Iain Banks. Il s'agit pour Banks à la fois d'établir et de rejeter les notions de paternité, d'intertextualité et de communauté artistique. Cette tâche difficile se double d'une volonté de contrecarrer la dépendance politique et culturelle de l'Écosse vis à vis de l'Angleterre. L'intertexte biblique, sert de base à un exercice de style sur le thème de la création (littéraire, loin toutefois de toute transcendance), du pouvoir du créateur, en faisant apparaître et disparaître, se superposer différentes figures de la paternité ou de l'ascendance. L'intrigue policière du roman sert de guide à la lecture, voulue comme une quête accomplie par le lecteur, l'entraînant à endosser peut-être le rôle de complice dont il est question dans le titre.

 

Father figures: lain Banks and ideological intertextuality

 

This paper sets out to emphasise the central position of the issue of origin in contemporary Scottish literature, by using Iain Banks' Complicity as an example. The author strives both to establish and to undermine the notions of paternity, intertextuality and artistic community, and aims at refuting Scotland's political and cultural subservience to England. The biblical intertext is the basis for an exercise on the theme of (literary) creation, the power of the creator, by conjuring, erasing and superimposing various competitive figures of paternity. The thriller element is to be used as a guideline for the reader's quest, a quest for a part to play in the novel itself, which may be that of the accomplice.


L'écriture palimpsestueuse d'Anita Brookner : de la transtextualité à l'autotextualité (R. Vidaud)

 

La présence au sein des romans d'Anita Brookner de très nombreuses et très diverses manifestations "palimpsestueuses" soulève inévitablement la question de la filiation littéraire de l'œuvre. Cette multiplicité apparente dissimule-t-elle une paternité fondamentale et fédératrice d'où émanerait le texte citant mais aussi les textes qu'il convoque ? Le fait que les récits de Brookner se ressemblent tous ne nous invite-t-il pas à penser qu'ils se génèrent à partir de quelque matrice archétypale, rôle que le mythe de la Dame d'Astolat de Lord Alfred Tennyson pourrait tenir à merveille? En réalité, l'usage qui est fait du patrimoine textuel est très particulier et consiste plutôt à se l'accaparer en le faisant entrer dans son univers solipsistique, de telle sorte que répéter autrui revient à se répéter soi-même. Le recours aux mêmes références transtextuelles favorise en fait l'auto-génération du texte ou autotextualité et c'est la raison pour laquelle il n'est pas faux de parler de gémellité pour traduire ce qui unit les différents romans dans lesquels se réverbère constamment l'oeuvre tout entière.

 

Anita Brookner's palimpsestuous writing: from transtextuality to autotextuality

 

There always being in Anita Brookner's novels very numerous, frequent and diversified "palimpsestuous" occurrences inevitably raises the question as to which literary heritage her work belongs to. Can it be said that all her narratives along with all chose which they quote emanate from some fundamental original text, the existence of which we cannot perceive immediately, blurred as it is by the teeming literary references? Considering that they are very similar to one another, are we not led into thinking that the novelist's different stories are hatched in a single cocoon which could ideally be embodied by Lord Alfred Tennyson's "Lady of Shalott"? As a matter of fact, Brookner's use of the literary corpus is so specific that it consists in incorporating it into her solipsistic universe to the extent that repeating somebody else's text is eventually tantamount to repeating her own text. Her resorting to recurrent similar transtextual references actually enables the Brooknerian text to generate itself, a phenomenon which we shall call autotextuality, and which is the reason why the bond between her various novels appears as a kind of real kinship, and her whole work even seems to reverberate itself in each of them constantly.


The Wild Girl de Michèle Roberts : quel "cinquième Évangile" ? (E. Wanquet)

 

The Wild Girl de Michèle Roberts se présente comme un cinquième Évangile, une autre version des événements du passé, écrite du point de vue de Marie de Magdala. L'auteur se livre à une réécriture du Nouveau Testament, en fondant son discours sur les Évangiles gnostiques. En privilégiant le point de vue de Marie de Magdala et en renforçant le symbolisme féminin des Évangiles gnostiques, Roberts réintroduit l'élément féminin qui, dès le troisième siècle, disparut des Évangiles sélectionnés pour figurer dans le Nouveau Testament. En dénonçant le rôle joué par ce mythe fondateur dans une stratégie du pouvoir qui soutient le partiarcat, ce roman ouvertement féministe vise à produire une nouvelle conception du sujet humain. La déconstruction d'un mythe devient la création d'un nouveau mythe réécrivant le réel.

 

The Wild Girl by Michèle Roberts. a "fifth Gospel"?

 

The Wild Girl by Michèle Roberts presents itself as being a fifth Gospel, a new version of past events, written from the point of view of Mary Magdalene. The author bases her re-writing of the New Testament on the Gnostic Gospels. By favouring Mary Magdalene's vision and by emphasizing the feminine symbolism present in the Gnostic Gospels, Roberts reintroduces the feminine element which, as early as the third century, was excluded from the texts selected by orthodox Christianity to form the canon of Holy Scripture. By denouncing the doctrines of the New Testament as upholding patriarchy, this overtly feminist novel participates in the creation of new patterns of meaning concerning the human subject. As she dissects a myth, Roberts creates a new one, rewriting what is accepted as reality.


Paternité fantasmatique dans les nouvelles de Graham Swift (R. Pédot)

 

La paternité ne va jamais de soi dans les nouvelles de Graham Swift. Stérilité, fausse couche, adultère, enfants monstrueux sont parmi les causes les plus tangibles qui la compromettent. La récurrence de tels ratages conduit à s'interroger sur leur importance non plus seulement descriptive (des rapports humains) ou symbolique mais surtout fantasmatique et à se demander si la paternité échouée n'est pas une figure-matrice (Lyotard) de ces récits. Le terme "matrice" n'est pas hasardeux, si l'on songe à la hantise du redoutable pouvoir féminin de donner la vie (et donc de la refuser ou de donner la mort à la place - à sa place) qui traverse les nouvelles tandis que la paternité, elle, n'est jamais assurée, au mieux, que par le fantasme de (ou d'être) l'origine. En changeant de niveau d'analyse, on constate de plus que la distinction création (masculine) et procréation (féminine) est sans cesse déconstruite dans ce que l'on pourrait appeler l'auto-accouchement du créateur/narrateur.

 

Fantastical fatherhood in Graham Swift's short stories

 

Fatherhood is never to be taken for granted in Graham Swift's short stories. Among the most obvious sources of confusion are sterility, miscarriage, adultery, monstrous births. The recurrence of such misfires is not merely descriptive of the vagaries of human relationships, or simply symbolical, but hints at the possible disruptive influence of fantasy; failed fatherhood then might be a fantastical matrix (Lyotard's figure-matrice) for these stories. Matrix is no haphazard term here, given the awe of woman's tremendous power to give birth - and by the same token to deny it or to give death in its very place -that pervades the stories, whereas fatherhood has at best only the fantasy of being the origin, the fantasy of origins, to go on. This in turn deconstructs the antinomy of (masculine) creation and (feminine) procreation through what reads like the creator/narrator's labour and self-delivery.


Du postmodernisme au romantisme: Time's Arrow de Martin Amis (J.- M. Ganteau)

 

Cet article se fonde sur une analyse de Time's Arrow, roman qui, comme son titre le laisse entrevoir, travaille sur l'inversion du flux temporel. Cela étant, malgré des apparences subversives, ce texte s'inscrit dans la continuité de récits traditionnels et ne remet pas en cause le principe téléologique qui assure une lecture non fragmentée du roman. Toutefois, il faut souligner la multitude de transgressions et de subversions que génère l'inversion du flux temporel, au premier rang desquelles une inversion de la causalité et un réapprentissage de la lecture, le tout pour figurer un phantasme de blanchiment de la conscience criminelle et de la langue. Time's Arrow, en vertu de la dualité de sa structure et des postures de lecture qu'il entraîne, est fondamentalement un récit du bégaiement qui met en scène une tentative d'abolition de la paternité (et de la causalité), tout en se revendiquant d'une esthétique romantique: celle qui voit dans l'enfant le père de l'homme et qui, au moyen de procédés expressionnistes, tente de tout dire.

 

Postmodernism to Romanticism: Martin Amis's Time's Arrow

 

This article is based on a textual analysis of Time's Arrow, a novel which, as the title may suggest, is concerned with the inversion of temporality. However, despite a subversive appearance, the novel is not devoid of the specificities which are consistency-inducing in traditional narratives since, in the last analysis, it does not abolish the principle of teleological orientation. Yet, many transgressions derive from the inversion of the arrow of time, among which the inversion of causality and an altogether new reading situation, both being means to suggest the notion of the laundering of criminal conscience and of language. Owing to its dual structure and of the duality of the reading posture that it exacts, the novel is fundamentally concerned with narrative stammering (in the Deleuzian acceptation of the term) and tries to stage an attempt at jettisoning causality and paternity, while acknowledging a romantic inheritance. In fact, Time's Arrow postulates that the child is father of the man and, at the same time, resorts to expressionist techniques so as to - in true romantic fashion - say everything about "The Nature of the Offence".