(réf. Etudes Britanniques Contemporaines n° Hors Série. Montpellier : Presses universitaires de Montpellier, 1997)
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Clapham Junction 1910 (éthique et esthétique de "Mr Bennett and Mrs Brown")
Frédéric REGARD (Université Jean Monnet-St Etienne)
Le titre de cette étude fait référence à "Mr Bennett and Mrs Brown", l'un des plus célèbres textes programmatiques de Virginia Woolf, écrit à une époque où l'écrivain entre en pleine possession de ses moyens. [1] Le sens de la formule "Clapham Junction 1910" deviendra plus clair à mesure que l'on avancera, l'important restant pour l'heure de se souvenir de la teneur de cet essai, souvent lu, jamais véritablement étudié. L'argumentation de Woolf est rigoureuseusement menée. Le texte de la conférence se subdivise en six parties. Chacune de ces parties est de longueur à peu près égale (entre deux et trois pages) et s'articule autour de deux idées principales ; en outre, la logique qui préside à l'agencement des parties entre elles se dessine nettement : 1. La première partie (319-21, jusqu'à "embody their view in writing") procède à une affirmation d'ordre théorique qui se développe en deux temps : a/ le roman est à la poursuite d'un character, mot auquel on peut donner un double sens : celui de "personnage", d'une part, celui de l'unicité et de l'ipséité de ce même personnage, de son "soi", d'autre part ; [2] b/ ce character est une valeur instable, qui peut changer selon les époques. 2. La deuxième partie (321-24, jusqu'à "what became of her") se veut une illustration pratique de cette première approche théorique : Woolf prend l'exemple précis de sa rencontre personnelle avec un character, __________
1. Il s'agit à l'origine d'une conférence prononcée
devant les "Heretics" de Cambridge le 18 mai 1924, puis publiée dans
The Captain's Deathbed, Collected Essays. London: The Hogarth Press,
[1950] 1968, vol I, 319-37.
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Mrs Brown, rencontrée au cours d'un trajet entre les gares de Richmond et de Waterloo. Elle procède à nouveau en deux temps : a/ elle décrit les circonstances exactes de cette rencontre ; b/ elle relate l'impression étrange produite par Mrs Brown sur sa propre "imagination" (333). 3. La troisième partie (324-27, jusqu'à "practically, for himself") se présente comme un nouveau détour théorique. Woolf suggère deux métaphores du travail d'écriture : demander aux réalistes classiques d'exprimer un tel character ("to express character"), c'est, dit-elle, comme aller voir un bottier pour lui soutirer les secrets de l'horlogerie (326). Elle procède à nouveau en deux temps, affirmant a/ que le roman est la forme privilégiée qui permet l'expression du character ; b/ que le roman réaliste ne remplit pas son contrat qui est de décrire la "réalité" du character. 4. Dans un nouveau mouvement de balancier, la quatrième partie (327-30, jusqu'à "those tools are death") revient à des questions d'ordre pratique. Woolf s'essaie à décrire Mrs Brown "à la manière de", a/ pastichant le système d'écriture édouardien, avant de b/ conclure à l'échec. 5. Au terme de cette dialectique entre réflexion théorique et exercice pratique, Woolf tente dans la cinquième partie (330-34, jusqu'à "bald, and croaking") une fusion des deux approches. La question posée est alors celle des outils, outils théoriques et pratiques, qui permettraient de transcrire le character de Mrs Brown. Elle fait a/ une rapide allusion à ses propres outils, puis b/ à ceux des Géorgiens (représentés dans un premier temps par Forster et Lawrence). 6. La sixième partie est une longue conclusion où Woolf a) salue et critique tout à la fois les outils des Géorgiens (représentés cette fois par Joyce, Eliot et Strachey), b) prédit enfin au roman anglais un avenir radieux : "We are trembling on the verge of one of the great ages of English literature. But it can only be reached if we are determined never, never to desert Mrs. Brown." (337) L'idée fondamentale qui inspire ce texte est éminemment paradoxale : souhaitant opposer écriture "réaliste" et écriture "moderniste" (le mot n'est toutefois pas prononcé), Woolf affirme en substance que le modernisme est en fait plus réaliste que le réalisme lui-même. Le système d'écriture mis en place par les "Edouardiens" perpétue une tradition qui n'aurait de "réaliste" que le nom. Le réalisme classique est en effet accusé de perdre de vue ce qu'il est censé représenter, c'est-à-dire la réalité humaine,
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incarnée ici par Mrs Brown. La réflexion de Virginia Woolf tourne donc autour de l'interrogation suivante : comment écrire "la vie", "the spirit we live by, life itself" (337) ? C'est-à-dire : 1/ De quoi "la vie" est-elle faite ? 2/ Comment faire en sorte que les signes ne trahissent pas cet "esprit" pour glisser dans la torpeur d'un corps mort ? [3] Je veux démontrer que cet essai ne se borne ni à poser des questions, ni à trouver des réponses dans l'écriture des Géorgiens, ni même à annoncer la naissance prochaine d'un grand système d'écriture. J'entends prouver au contraire que Mrs Brown est véritablement le destin, le daimôn, de Virginia Woolf, un destin sombre qui mène l'auteur à sa ruine ("my doom", 319), puisqu'il interdit d'emblée la définition d'une identité stable pouvant s'inscrire dans une intrigue : "My name is Brown. Catch me if you can." (319) L'histoire apparente des déboires de Mrs Brown avec soit les Edouardiens soit les Géorgiens se double donc d'une autre histoire, d'une histoire fantôme : "Mr Bennett and Mrs Brown" relate en fait la rencontre entre un character et sa romancière, entre un sujet et un style. Or, celui-ci se constitue dans des conditions particulièrement difficiles. Dès les premières lignes, Mrs Brown est en effet décrite comme un "demon", une silhouette incertaine : "a little figure - the figure of a man, or of a woman," (319) un feu follet insaisissable ("will-o'-the wisp"), un "phantom." "Few catch the phantom," nous avertit Woolf, "most have to be content with a scrap of her dress or a wisp of her hair." (319) Ce style nouveau, gage de succès, mais peut-être aussi d'échec : "the folly of writing, trying to write, or failing to write, a novel," (319) ne sera donc pas du genre à se satisfaire de la partie pour le tout. Certains parviennent bien à s'emparer du "wisp", mais ils manquent toujours le "will-o'-the-wisp", cette volonté, cet esprit qui confère au character de Mrs Brown son unicité. La rencontre de la figure fantomatique de Mrs Brown s'annonce alors comme celle d'une trouvaille, de la découverte par le texte de son propre outil de capture, c'est-à-dire de sa propre figure. Il s'agira donc de ne pas se fier aux apparences, de résister notamment à la tentation d'une réflexion sur "the smashing and the crashing" (333-34) que Woolf diagnostique dans l'écriture moderniste de Joyce, Eliot ou Lawrence, pour tenter plutôt de saisir l'articulation secrète de cet essai et repérer le train fantôme qui se profile sans cesse derrière le train __________ 3. On reconnaît ici l'une des interrogations fondamentales de la philosophie de l'écriture : voir Platon, Phèdre, 274b sq., et bien sûr Jacques Derrida, "La Pharmacie de Platon", La Dissémination. Paris : Seuil [1968] 1972.
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de pensée affiché par le plan et les intentions exprimées de "Mr Bennett and Mrs Brown." Cette lecture vise par conséquent à établir que le texte de Woolf n'est pas exactement un texte programmatique, puisque c'est bien jusqu'à l'ordre des textes programmatiques qui serait inversé : l'écriture à venir est déjà présente, en filigrane, et c'est en regard de cette dernière que Woolf peut disqualifier les autres systèmes d'écriture, qu'ils soient "édouardien" ou "géorgien." Le texte de Woolf ne pense pas la littérature ; il est littérature, il est déjà figure de ce qu'il appartiendra aux autres de penser. Pour dégager cette dimension virtuelle de manière aussi rigoureuse que possible, il convient d'abord de saisir la nature de la critique woolfienne à l'endroit du réalisme classique. Le propos porte principalement sur des questions d'ordre philosophique, puis d'ordre esthétique. La réflexion philosophique semble tourner autour de l'aspect idéologique du réalisme, mais surtout autour de son aspect éthique. La réflexion esthétique, quant à elle, directement issue de la question éthique, tourne autour de la légitimité de certaines figures rhétoriques. I La critique idéologique intervient au début de la cinquième partie de l'essai, celle où Woolf commente les outils employés par les Edouardiens (pastichés dans la quatrième partie). L'analyse se concentre sur un extrait du roman d'Arnold Bennett, Hilda Lessways [1911]. Woolf remarque que le personnage de Hilda n'est jamais décrit pour lui-même, mais pour la réalité extérieure qu'il indexe : "not Hilda Lessways, but the view from her bedroom window" (328). Le character réaliste est peint dans le monde, dans l'intégralité de sa situation sociale, et seul l'ensemble de tous ces liens constitue la "singularité individuelle" du personnage (pour reprendre une expression utilisée par Sartre pour parler du héros de cinéma), qui se définit surtout comme l'effet d'un complexe de déterminations extérieures. [4] Dans le système d'écriture "édouardien" le monde est inscripteur des actions humaines. Woolf voit dans cette inscription particulière du character une sorte de formule de politesse, "a convention of manners" (330), et non quelque gage d'authenticité réaliste : la description établit une universalité de référence, un ensemble de déterminations communes à tous les acteurs __________ 4. Voir Jean-Paul Sartre, "Théâtre et cinéma" (1958), Un théâtre de situation. Paris : Gallimard, 1973, "Folio", 93-99. Voir aussi l'entretien sur Les Séquestrés d'Altona (1960), 367-83.
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de l'acte littéraire, assez proche de ce que Sartre, encore, nomme la "facticité" [5] : la présence massive de ce milieu global, ou de ce "common ground" comme Woolf le nomme à plusieurs reprises (331), précipite l'expérience littéraire dans un monde factice où seules les déterminations extérieures du character permettent au lecteur d'évoluer en confiance. Tout comme une maîtresse de maison parle du temps qu'il fait avant d'engager la conversation avec ses invités, le romancier réaliste classique voit dans cette inscription une convention préalable à l'entente entre l'auteur et le lecteur : "bridging the gulf" (330), telle est la définition woolfienne de cette opération qui, pour élaborer un contexte de vraisemblance, n'en demeure pas moins irréaliste. Ce qui ne veut pas dire qu'à l'instar des Géorgiens Woolf refuse toute idée d'un "common ground" ou d'un "code of manners" (voir 334). [6] La convention réaliste souffre en fait d'être déterminée par une idéologie particulière. En effet, cet aveuglement inhérent au réalisme classique est mis sur le compte d'un système économique précis, celui du capitalisme. L'idéologie qui cèle le destin du character réaliste est identifiée sans hésitation comme étant celle de la valeur marchande :
La critique idéologique apparaît on ne ne peut plus clairement : dans le roman réaliste édouardien, la valeur du sujet est en fait déterminée par la __________
5. Voir Sartre, "Liberté et facticité : la situation", L'Etre
et le néant. Paris : Gallimard, 1943, rééd. "Tel",
538 sq. Je dois à Philippe Foray, philosophe, d'avoir attiré
mon attention sur ces textes.
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valeur de la marchandise. [7] L'avoir l'emporte sur l'être et obère de la sorte la valeur intrinsèque d'un sujet dont on pressent qu'il devrait selon Woolf être constitué seulement de "states of consciousness" ("by far the most valuable things," dit Moore). C'est donc ce fétichisme de la marchandise qui explique pourquoi on pense pouvoir parler d'un personnage en parlant des objets qui l'entourent, de la maison dans laquelle il habite. Il y aurait là une sorte d'inconscient politique du descriptif, de détermination "instinctive" dit Woolf (331), qui interdirait au réalisme édouardien d'être ce qu'il prétend être. L'analyse recentre ainsi la question du réalisme sur une sémiotique du savoir qui annonce nombre de réflexions contemporaines : le réalisme ne peut prétendre à l'objectivité d'une description neutre et transparente de la vie, puisque le vraisemblable se fonde toujours sur un système de valeurs, puisque le réel est toujours déjà le fruit d'une réécriture du réél. [8] Mais Woolf abandonne assez vite ce raisonnement au profit d'une interrogation éthique. [9] Ce qu'elle déplore dans la constitution du regard comme regard évaluateur, c'est en fait que celui-ci tombe en quelque sorte à côté du sujet : il cesse d'être visée du soi. [10] Ce n'est pas l'être-au-monde de la singularité sartrienne qui intéresse Woolf ici, ni non plus sa mise en situation dans une existence concrète où la liberté pourrait l'emporter sur la "facticité," mais plutôt son unicité et son ipséité. Ce raisonnement occupe en fait la deuxième partie de l'essai, celle où Woolf relate sa rencontre fortuite avec Mrs Brown dans un train de banlieue. Lorsque la narratrice surgit dans le compartiment, Mrs Brown est en conversation avec "a man of business" (322), dont on comprend qu'il exige de son interlocutrice quelque chose comme le paiement immédiat d'un arriéré de loyer (323). Or, la condamnation implicite qui frappe ce Mr Smith, ainsi que choisit de le nommer Virginia Woolf, ne porte pas tant sur la relation de possédant à possédé qu'il instaure avec Mrs Brown, que sur __________
7. On reconnaît sans doute ici une influence de la philosophie marxiste
et en particulier du Capital, Livre I, 1867.
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son refus du face-à-face avec cette dernière. [11] Mr Smith ne manque certes pas de soumettre sa débitrice à un regard évaluateur, mais surtout il ne cesse de reproduire presque dans le même mouvement l'acte réaliste par excellence : au lieu de regarder Mrs Brown, il regarde par la fenêtre (322, 323). [12] Or, c'est bien ce déplacement du regard qui attire les critiques les plus acerbes de Woolf dans la quatrième partie de sa démonstration. Tous les réalistes édouardiens choisis par Woolf (ce qui représente tout de même une sélection très partiale), selon des modalités différentes, ont oublié Mrs Brown à force de vouloir regarder par la fenêtre, et ont ainsi commis ce qui semble pensé comme un véritable crime contre l'humanité :
C'est ainsi que le train de banlieue devient une métaphore du système d'écriture réaliste. Le réalisme est avant tout une expérience optique de l'espace qui se préoccupe d'embrasser le dehors dans un plan d'organisation, de survoler le monde sur le mode d'une continuité linéaire et progressive, au lieu de se tourner vers l'intérieur, sur la vraie vie, sur la nature humaine. Le paradoxe engage l'ensemble de l'histoire du roman britannique : le réalisme classique est un anti-humanisme ; un "réalisme" authentique devra quant à lui se préoccuper de faire dérailler le train des déplacements optiques pour redonner à l'ipséité du character sa "réalité." Woolf, vers la fin de sa deuxième partie, convie donc son lecteur à une expérience éthique du regard, expérience rendue possible lorsque Mr Smith quitte le train, à mi-chemin entre Richmond et Waterloo, à Clapham Junction très précisément (323). __________
11. Emmanuel Lévinas n'a cessé de rappeler que face aux
totalisations (vision globalisante, synthèse universelle, réduction
de l'expérience, représentation linéaire du temps),
seule la relation au visage de l'autre était d'emblée éthique
(voir en particulier Totalité et infini, La Haye: Nijhoff,
1961). Le "face-à-face" est pour Lévinas une relation proprement
érotique avec le mystère de l'altérité, incarné
de préférence par le féminin, et il ouvre une autre
dimension du temps ("L'Eros", Le Temps et l'autre, (1979), Paris:
PUF, 1985, 77 sq.).
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Le départ de Mr Smith marque en effet une bifurcation (un des aspects de la "junction") dans le récit, bifurcation qui permet à la narratrice tout à la fois de se débarrasser de ce symbole très puissant des déplacements optiques et de renouer avec le temps des retrouvailles (l'autre aspect de la "junction"). En effet, se retrouvant seule face à Mrs Brown, Woolf va jusqu'à la fin de cette deuxième partie s'efforcer de lui redonner vie, de redonner au character son authentique condition de possibilité. On ne saurait donc négliger ce regard éthique que suppose la théorie esthétique woolfienne, même si le discours classique sur le modernisme ne nous prédispose pas à accepter un tel souci d'indépendance du character par rapport au milieu global dans lequel il se meut, souci qui ressemble fort à la nostalgie d'une immédiateté, d'une pureté de la présence que seule une transcription authentiquement "réaliste" saurait préserver des filtres idéologiques et autres "facticités." [13] Entendre la vraie voix de Hilda ou de Mrs Brown, qui sont seulement les noms possibles de l'essence même de la vie, "life itself" (337), voilà bien ce qui mobilise pourtant, dans un premier temps tout du moins, la critique philosophique, idéologique et éthique, de Virginia Woolf en 1924. Or, c'est précisément cette ontologie du personnage et du caractère, de la voix et de l'écriture, qui, si elle demeure bien l'horizon insistant de la théorie woolfienne, est vécue dans le récit lui-même comme une expérience nécessairement métaphorique. J'en arrive ici à un deuxième paradoxe constitutif du texte de "Mr Bennett and Mrs Brown" : l'expérience narrative des retrouvailles de Clapham Junction semble établir que la notion d'immédiateté doive elle-même se concevoir en termes de déplacement. Le texte programmatique de Woolf se tord tout entier dans ce double noeud paradoxal : à proposer une déconstruction du réalisme qui devra déboucher sur un autre réalisme, il se déconstruit lui-même en établissant qu'à briser la ligne du déplacement latéral du train de banlieue, on n'en instaure pas moins un autre type de déplacement. [14] Je __________
13. Jacques Derrida oppose deux approches antithétiques de la
présence : celle du "rousseauisme" (éthique de la présence,
nostalgie de l'origine, pensée de la perte du centre) et celle du
"nietzschéisme" (affirmation joyeuse d'un monde sans vérité,
sans origine, pensée du non-centre). Voir "La Structure, le signe
et le jeu dans le discours des sciences humaines", L'Ecriture et la
différence. Paris : Seuil, 1967, rééd. "Points",
p. 427.
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proposerai toutefois de nommer "glissement" le premier type de déplacement, et "écart" le deuxième type. Je quitte la sphère philosophique pour entrer dans celle du style. [15] II Quitte à prendre mes distances ultérieurement, je veux me servir ici d'un article célèbre de Roman Jakobson, "Deux aspects du langage et deux types d'aphasie" [1953], dont on sait la fortune critique sur diverses écoles de pensée. [16] Jakobson part du postulat que "tout signe linguistique implique deux modes d'arrangement" (48). Un premier mode d'arran-gement est celui de la "combinaison" et de la "contexture," qui sont les deux faces d'une même opération, celle d'un assemblage des signes dans une séquence spatiale et temporelle. Nous sommes ici, dit Jakobson, au royaume de la "contiguïté." Le deuxième mode d'arrangement est celui de la "sélection" et de la "substitution," qui sont à leur tour les deux faces d'une même opération, qui concerne "la possibilité de substituer l'un des termes à l'autre, équivalent du premier sous un aspect et différent sous un autre." Nous sommes ici, précise Jakobson, au royaume de la "similarité" (48-49). A partir de ce postulat, Jakobson propose une analyse des troubles de la parole, qui, selon lui, engagent toujours la capacité qu'a un individu soit de combiner (premier mode d'arrangement), soit de sélectionner (second mode d'arrangement) les unités linguistiques (50). Les deux types d'aphasie sont déterminés selon que l'un ou l'autre des modes d'arrangement est affecté. Soit le patient perd la capacité de procéder à des opérations de "commutation" par similarité, mais parvient toutefois à sauvegarder ses "chaînons de connection," soit il sauvegarde son mode d'arrangement par similarité, mais perd en revanche sa capacité de coordination des unités linguistiques (50-51). Dans le premier cas de figure, le __________
15. En toute logique, j'entendrai donc par style ce que Ricoeur en dit sur
Proust : "Le style, ici, ne désigne rien d'ornemental, mais l'entité
singulière résultant de la conjonction, dans une oeuvre d'art
unique, entre les questions d'où elle procède et les solutions
qu'elle pose." (La Configuration dans le récit de fiction.
Paris: Seuil, 1984, 219)
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patient est guidé uniquement par "la contiguïté spatiale ou temporelle," et ce procès, note Jakobson, rappelle le glissement du même au contigu caractéristique de la métonymie. Dans l'autre cas de figure, on assiste au contraire à une dissolution de la coordination et à une désagrégation de la contexture : un thème en amène un autre non plus par contiguïté, mais par similarité ; nous sommes alors dans le domaine du métaphorique (56). Ce détour par l'essentiel de cette célèbre analyse éclaire mon choix de distinguer entre deux types de déplacement. Tout se passe en effet comme si le texte de Woolf s'organisait autour de deux "tropes," de deux "lignes sémantiques" différentes (61), que les procès métonymiques et métaphoriques de Jakobson permettent de saisir avec plus de rigueur. Dans la quatrième partie de sa démonstration (son pastiche de l'écriture édouardienne), Woolf suggère bien que les réalistes adoptent toujours les mêmes stratégies discursives : ils s'emparent de quelque détail synecdochique propre au character, puis le regard se détourne du personnage et, suivant la voie des relations de contiguïté, glisse de la partie vers le tout, du contenu vers le contenant. Par exemple, dans le pastiche de Woolf, Wells part des vêtements de Mrs Brown pour glisser vers le système éducatif existant, puis vers un autre système à venir, une "utopie" d'où Mrs Brown aurait en fin de compte été effacée (327). Galsworthy s'empare des mêmes détails synecdochiques pour glisser cette fois vers le système de répartition du travail, et aboutir enfin à une sorte d'hallucination transformant Mrs Brown en pot de terre cassé (327-28). Bennett, enfin, procède de la même façon et, tout en laissant son regard glisser à l'intérieur du compartiment, finit par évoquer une géographie urbaine (328) où le moindre personnage prend la forme d'un pavillon de banlieue (328-30). On constate que Woolf décrit le réalisme édouardien comme une machine optique reposant sur un seul type de montage, un montage de plans nécessairement enchaînés, émanant d'un point de vue englobant, destiné à faire apparaître le monde comme une totalité, [17] reposant pour ce faire sur la technique du déplacement métonymique. [18] Les aboutissements hallucinatoires auxquels Woolf fait __________
17. Voir ce que dit Gilles Deleuze de "la tendance organique" du cinéma
dominant de l'époque : L'Image-mouvement. Paris: Minuit, 1983,
47 sq. Deleuze prend pour exemple la technique de montage de Griffith (Birth
of a Nation, 1915).
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systématiquement référence établissent clairement d'autre part que le réalisme est pour ainsi dire organiquement condamné à déboucher sur l'effet contraire de celui escompté, le dispositif optique se transformant de lui-même en outil fantasmagorique mortel, puisque le glissement par contiguïté finit par perdre de vue l'objet initial. [19] On voit comment la critique philosophique se double d'une critique esthétique. Le regard évaluatif reste un regard non éthique parce que furtif, furtif parce que connectif. Cette optique connective agit simultanément sur deux axes, qui sont les deux rails sur lesquels progresse le train réaliste. Un premier rail permet à un premier oeil de considérer tout signe linguistique comme renvoi immédiat et transparent à une réalité extra-linguistique, la référentialité fonctionnant comme cette expérience commune, ce "common ground" sur lequel se fonde, selon Woolf, l'acte de communication édouardien. Un deuxième rail permet à l'autre oeil d'enchaîner les paysages, les objets et les personnages sur une ligne sémantique de combinaison et de contexture, de continuités spatiales et temporelles, qui organise le monde selon un principe de totalisation linéaire et progressive. Le train de banlieue réaliste fait donc glisser les signes vers la réalité et, dans le même mouvement, les combine de manière à faire glisser cette réalité dans un ensemble ordonné. Il est l'image même du dispositif fantasmagorique : telle une machine articulant ses compartiments sur une ligne de sens linéaire dans le même temps qu'elle ouvre sur un paysage unifié, la phrase réaliste établit en permanence la liaison entre chaque unité linguistique, d'une part, entre la combinaison syntaxique et la fonction référentielle, d'autre part. Toute la question devient dès lors de savoir si le texte de Woolf parvient à inventer une autre machine, à se donner un autre dispositif optique, à monter à bord d'un autre train. [20] "Mr Bennett and Mrs Brown" parvient-il à concevoir un signe, une figure, un trope, qui ne soit pas un __________
19. Max Milner a montré de quelle manière l'invention de nouvelles
machines optiques au XIX° siècle avait favorisé
l'émergence d'un nouvel imaginaire, soumis au règne de l'illusion
: voir La Fantasmagorie : essai sur l'optique. Paris : PUF, 1982,
23.
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indice facilitant la circulation du sens, mais une icône capable de faire dérailler la circulation du sens. Mon idée, on l'aura deviné, est de répondre ici par l'affirmative : Diotime moderniste s'invitant à l'improviste au banquet du train réaliste ("a little party in the railway carriage", 327), Woolf réussit un véritable acte de piratage, occultant les fenêtres, écartant les rails, provocant un écart catastrophique dont on peut légitimement penser, pour reprendre rapidement les catégories de Jakobson, [21] qu'il est d'ordre non plus métonymique, mais métaphorique. C'est à la lumière de ce que nous venons d'apprendre dans les parties "pratiques" de l'essai (et plus particulièrement de la deuxième et de la quatrième) qu'une relecture des parties "théoriques" peut ouvrir une voie sans doute inattendue. Dans le premier mouvement de sa démonstration, Woolf, on s'en souvient, affirme que le roman est avant tout affaire de "character-reading" (320). Elle ajoute toutefois que la tâche n'est guère aussi aisée qu'il pourrait paraître, que depuis 1910 en particulier cette définition soulève plus de questions qu'elle n'apporte de réponses. Woolf affirme en effet que c'est à cette date que, selon une formule restée célèbre, le caractère humain a "changé" : "in or about December, 1910, human character changed" (320). On commente souvent cette déclaration en faisant allusion soit à la mort d'Edouard VII, soit à l'organisation aux Grafton Galleries de la première exposition post-impressionniste. [22] Si cette interprétation reste séduisante, il n'en demeure pas moins a/ que la date de 1910 est de l'aveu même de Woolf approximative, voire arbitraire - "let us date it about the year 1910" (320) ; "let us agree to place one of these changes about the year 1910" (321) ; b/ qu'elle passe sous silence l'explication qu'en donne immédiatement Virginia Woolf elle-même. Il est __________
21. "Rapidement", puisque la métaphore, ainsi qu'on va le voir
bientôt, se fonde moins sur un rapport de substitution que sur un rapport
d'interaction (de deux idées de choses différentes). Si Jakobson
fournit un excellent point de départ, il peut donc être
avantageusement relayé par la thèse, contemporaine de "Mr Bennett
and Mrs Brown", d'I. A. Richards (Principles of Literary Criticism,
1924) ou celle de Michel le Guern (Sémantique de la métaphore
et de la métonymie, Larousse, 1973, 15). "(A metaphor) is the
supreme agent by which disparate and hitherto unconnected things are brought
together in poetry for the sake of the effects upon attitude and impulse
which spring from their collocation and from the combinations which the mind
establishes between them. There are few metaphors whose effect, if carefully
examined, can be traced to the logical relations involved." (Principles
of Literary Criticism. London : Routledge and Kegan Paul, 1960,
rééd. 1976, 189)
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vrai que le raisonnement semble étrange, voire déplacé, ce qui explique vraisemblablement qu'il soit massivement ignoré. Woolf explique en effet que si le character, entendu cette fois dans son acception psychologique, a changé, c'est que toutes les "relations humaines" ont été bouleversées : "All human relations have shifted - those between masters and servants, husbands and wives, parents and children" (321). Elle poursuit son raisonnement à l'aide d'un exemple précis, celui de la place du cuisinier ou de la cuisinière. Rien dans le texte ne permettant de penser que "the character of one's cook" (320) indexe un sexe plus qu'un autre, on peut postuler qu'il s'agit avant tout d'une "figure," dont on se souvient que dès les premières lignes elle se caractérise par une telle indétermination androgyne ("the figure of a man, or of a woman"). La figure de la cuisinière permet en tout cas à Woolf de préciser ce qu'elle entend par "changement de caractère" : à l'époque victorienne, la cuisinière restait à sa place, une place obscure et ancillaire qu'elle ne songeait pas à contester : "like a leviathan in the lower depths, formidable, silent, obscure, inscrutable" (320). L'époque géorgienne voit l'avènement d'une figure qui ne sait plus tenir sa place, ne sait plus tenir en place, ne cesse de se déplacer et de resurgir là où on ne l'attend pas : "in and out of the drawing-room, now to borrow the Daily Herald, now to ask advice about a hat" (320). Hier, les serviteurs savaient se tenir : ils étaient un signe de réussite sociale, la partie sombre qui renvoyait au tout lumineux, n'existant que pour autant qu'on les invitait à occuper une place nettement délimitée. Aujourd'hui, le caractère de la même figure est devenu impossible : celle-ci se convoque toute seule, s'invitant au salon alors qu'on ne l'a pas sonnée, se glissant de manière incongrue à une place qui n'est pas la sienne, se substituant presque à la maîtresse des lieux. [23] On saisit la richesse de l'indétermination sémantique des mots character et figure. En fait, on ne peut comprendre le raisonnement de Woolf que si l'on est prêt à laisser jouer les mots, à leur autoriser ces écarts qui font que character signifie tout à la fois personnage, caractéristique psychologique, trait distinctif ou enfin inscription typographique, que figure signifie tout autant silhouette que forme, chiffre, symbole ou trope. Si le "caractère" du cuisinier/cuisinière a changé, est devenu une trace __________ 23. La cuisinière géorgienne apparaît alors comme une figure de l'Unheimliche freudien : s'inspirant d'une remarque de Schelling, Freud définit en effet l' "inquiétante étrangeté" comme "tout ce qui aurait dû rester caché, secret, mais se manifeste" ("L'Inquiétante Etrangeté", 1919, trad. M. Bonaparte et E. Marty, Paris : Gallimard, 1933, rééd. "Idées", p. 173).
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énigmatique, hiéroglyphique, c'est bien qu'il ne s'inscrit plus dans un rapport de connexion logique, mais de substitutions insensées qui introduisent une "inquiétante étrangeté" dans l'ordre discursif. Autrement dit, le character de 1910 fonctionne bien dans l'ensemble du texte woolfien comme un trope ou comme une figure : il est la figure de ce déplacement ou shift qui au modèle de la contiguïté métonymique oppose celui de l'incartade métaphorique. 1910 n'est donc pas seulement une date à fonction immédiatement référentielle, renvoyant le lecteur averti à la mort du roi ou à l'exposition des post-impressionnistes. C'est un chiffre, c'est-à-dire encore l'inscription chiffrée d'une catastrophe ferroviaire virtuelle sans précédent : la date d'une collision entre deux lignes sémantiques différentes, entre deux characters, deux figures, deux tropes, deux procès, deux trains de pensée. Suivant la logique qu'elle a adoptée dès le début, Virginia Woolf cherche alors à mettre à l'épreuve ce moment théorique. L'exercice pratique au cours duquel ce character va effectivement devenir "figure of speech" se déroule en fait en deux temps : au cours du deuxième mouvement de la deuxième partie (le face à face avec Mrs Brown), puis dans le premier mouvement de la cinquième partie. Dans le premier passage, le regard éthique auquel nous convie Woolf se transforme en une expérience esthétique. En effet, le regard refuse le glissement réaliste et cherche à atteindre l'ipséité du personnage, mais n'y parvient que sur un mode très particulier :
Le regard éthique devient proprement esthétique (du grec aisthesis, la sensation) parce qu'il est submergé par une débauche d'affects qui disloque les connexions, abolit la logique des glissements contextuels, décentre le sujet. Mais c'est bien sur un tel plan de composition que se détermine un "style" particulier : l'unicité et l'ipséité de Mrs Brown ne peuvent se traduire qu'au travers de comparaisons inadéquates, de similarités étranges, de substitutions déroutantes, de violents écarts disjonctifs, qui interdisent de fait toute mise en intrigue, fondée sur la répétition du
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même. [24] Mrs Brown est une suite vertigineuse de variations imaginatives qui abolissent en fait son "caractère," entendu cette fois comme identité fiable du personnage (sa "mêmeté," dirait Ricoeur). Semblable aux "puzzling cases" de la science-fiction, [25] elle se métamorphose en courant d'air ou en odeur de brûlé, ou encore se retrouve projetée sur plusieurs plans qui se succèdent à vive allure de manière désordonnée. Le montage en fondus enchaînés qui caractérisait la machine optique réaliste est remplacé par un montage de plans courts se suivant en accéléré, enrayant la logique narrative du montage "organique," refusant le point de vue englobant, faisant apparaître l'univers non plus comme totalité, mais comme alternance de fragments qui s'additionnent les uns aux autres sans se compléter. [26] C'est pourquoi le nouveau dispositif optique se présente surtout comme une machine non tant optique qu'haptique [27] : le regard saisit des sensations, se retire de l'espace métré et évalué du système __________
24. Frank Kermode, dans The Sense of an Ending (Oxford : OUP, 1966),
puis Paul Ricoeur, dans Temps et récit, III, ont établi
de quelle manière la tradition d'une intrigue menée jusqu'à
son terme (jusqu'à sa "clôture") impliquait la présence
centrale d'un caractère clairement identifiable quelles que soient
les expériences imposées par le récit. Inversement,
à la perte d'identité du personnage correspond une crise de
la mise en intrigue et en particulier de la clôture du récit
(voir Le Temps raconté. Paris : Seuil, 1985, rééd.
"Points", 442 sq.). Ce n'est donc pas un hasard si le character de
Mrs Brown ne peut donner naissance à une forme narrative : l'essai
était bien la seule forme littéraire qui permette de saisir
ce personnage non-identifiable.
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réaliste, se métamorphose en capteur intensif, non dirigé, disjonctif. Clapham Junction est surtout le point de départ d'une dis-junction. [28] Cet abandon du dispositif cinématographique au profit d'une composition "impressionniste" trouve dans la cinquième partie de l'essai une formulation peu originale (on peut penser aux Romantiques, mais bien sûr à Walter Pater, au Wilde de The Critic as Artist, et surtout au Proust du Temps retrouvé) [29] : Woolf oppose sa "vision" impressionniste à la "description" réaliste (332). Il importe toutefois de ne pas perdre de vue l'enjeu paradoxal de cette distinction. C'est bien cette "vision" qui est "réaliste," "le gage de la vérité nécessaire" dit Proust, car la disjonction respecte ainsi la "différence" de Mrs Brown (voir 333), laissant surgir des sensations sonores, tactiles ou olfactives qui rendent au character sa réalité brute, sa fraîcheur brutale, alors même que le discours se perd en figures étranges et désordonnées. [30] C'est que le character échappe ainsi à la "singularité individuelle" qui caractérise la représentation cinématographique du sujet : le character n'est plus déterminé par son être-au-monde, ne peut plus être "déduit" par simple glissement métonymique ("they have given us a house in the hope that we may be able to deduce the human beings who live there," 332). Comme un fantôme insaisissable, comme un feu follet, il se figure en toute indépendance dans cet éternel écart métaphorique, [31] dans cette différance qui seule lui redonne vie. __________
28. J'emploie donc le mot de disjonction au sens que lui donnent Deleuze
et Guattari de "somme qui ne réunit jamais ses parties en un tout"
(Capitalisme et schizophrénie. L'Anti-Oedipe. Paris: Minuit,
1972, p. 50).
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"vision" de Woolf n'a donc pas grand chose à voir avec un plan d'organisation optique tel qu'on le conçoit d'ordinaire. L'esthétique y rejoint pourtant l'éthique d'un regard fidèle, puisque les transfigurations [32] sont seules à même de restituer à Mrs Brown cet être propre que lui dérobe le dispositif métonymique : "I knew that if I began describing the cancer and the calico, my Mrs Brown, that vision to which I cling though I know no way of imparting it to you, would have been dulled and vanished for ever" (332). Woolf semble donc voir dans le procès métaphorique une relation paradoxale au réel, qui fait que seul le décrochement est finalement dévoilement, retrouvailles, "reconnaissance" dirait Proust. Le déplacement vient en quelque sorte annuler le déplacement, la métaphore et ses écarts répétés sont plus réalistes que le "réalisme" : l'"impression" est la joie du réel retrouvé, transfiguré dans "les anneaux nécessaires d'un beau style" ; la vraie vie, "life itself," est la littérature elle-même. [33] C'est pourquoi l'outil de la figuration cesse d'être machine de mort ("those tools are death," 330), pourquoi la métaphore réconcilie enfin paradoxalement la vie et la littérature. Pourtant, cette découverte ne semble pas provoquer chez Woolf d'euphorie particulière :
Retraçant le nécessaire passage de la "description" à la "vision," Woolf dit donc son impuissance et son désespoir. Certes, l'auteur nous dit comment elle est parvenue d'extrême justesse à sauter du train métonymique pour se reterritorialiser dans le train fantôme, ce train virtuel qui fait dérailler les opérations de contexture et de combinaison, mais le déferlement __________
32. J'emploie le terme au sens de métaphore originaire et secondaire
que lui donne Patrick Tort, "Transfigurations (archéologie du
symbolique)". William Warburton ed., Essai sur les hiéroglyphes
des Egyptiens. Trad. L. Des Malpeines, Paris: Aubier Flammarion, 1977,
47-88.
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d'affects (elle dit parfois aussi le feeling) [34] qui transfigure la machine optique en machine haptique affole tout autant l'axe paradigmatique des substitutions. La métaphore woolfienne apparaît donc comme un trope sauvage et instable où les plans se télescopent et se bousculent dans une danse nomade qui contraint le sujet de la vision à être toujours lui-même déplacé. [35] Cette métaphore n'est donc certainement pas investie d'une valeur ontologique : le procès de la comparaison est happé dans une poursuite approximative qui ne cesse de multiplier les figures sans parvenir jamais à arraisonner le character. "Catch me if you can." C'est ainsi que la métaphore woolfienne abdique ses traditionnelles prétentions à l'abstraction et au conceptuel pour se faire pratique du réel, outil de bricolage, [36] travail de production au terme duquel il apparaît que le character ne peut s'approcher que par voisinage infini de sensations incongrues et éternellement anexactes, figurées par des unités linguistiques qui s'emboîtent l'une dans l'autre sans jamais atteindre de réelle cohérence logique. L'auteur de ces transfigurations bricole ou cuisine d'étranges opérations de substitution qui, en fait, abolissent la prédication et le primat du verbe être, installent une redondance illogique, produisent inévitablement en lieu et place de l'unicité ontologique du character cette individuation hétérogène que Deleuze et Guattari baptisent heccéité, [37] que Woolf nommerait sans doute "a queer amalgamation," expression qui __________
34. "One learns through feeling" : voir "How Should One Read a Book?" (The
Common Reader, 1932), C. E., II, 9. J'ai déjà tenté
de suggérer dans EBC (n° 9, juin 1996) qu'une histoire
de l'esthétique britannique vue au travers de l'articulation de
l'écriture sur le feeling pouvait donner des résultats
intéressants ("Penser, écrire, sentir. Quelques réflexions
sur la notion de feeling dans l'histoire de l'esthétique britannique",
p. 65-77). Le présent travail fut conçu comme une exploration
d'un moment particulier de cette histoire.
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n'est d'ailleurs pas sans rappeler l' "étrange création composite" qu'est précisément la métaphore selon Freud. [38] III La distinction opérée dans la troisième partie de l'essai entre "bottier" réaliste et "horloger" moderniste prend ici tout son sens : le bottier équipe ceux qui désirent arpenter l'espace d'un pas lourd de propriétaire, [39] tandis que l'horloger conçoit des métaphores du temps. Mais le secret de l'horlogerie woolfienne n'est pas de mesurer le temps chronologique. Le temps est ici celui du bricoleur en horlogerie, celui du faiseur de métaphores : il s'agit d'élaborer l'expression d'une "vision" disjonctive, de provoquer la rencontre incongrue de sphères apparemment étrangères les unes aux autres, et de permettre ainsi l'accès à un réel oublié voire même nié par les métaphores figées de l'espace et du temps. Ce temps n'est pas non plus pure durée, car il s'incorpore dans la trouvaille poétique, il se dimensionne dans l'écart transfigurationnel. [40] Ce temps est en fait celui du "moment" woolfien, tout entier distendu entre le déchiffrement du character ("impression" et "vision") et sa trace poétique (la métaphore, le "likening"). [41] La parabole woolfienne s'éclaire définitivement : on n'ira pas __________
38. Voir "The New Biography" (1927), où Woolf annonce la naissance
d'une nouvelle écriture de la vie (qu'elle vient de redéfinir
comme un subtil mélange de réalité intérieure
et de faits extérieurs : voir infra, note 44) : "Nor can we
name the biographer whose art is subtle and bold enough to present that queer
amalgamation of dream and reality [...]" (C. E., IV, 234). Pour la
métaphore comme "image composite" (issue du travail de "condensation"),
voir bien sûr Die Traumdeutung de 1900 ou, plus rapidement,
Le Rêve et son interprétation, trad. H. Legros, Paris
: Gallimard, 1925, rééd. "Idées", p. 47.
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voir un spécialiste du déplacement spatial quand on cherche le secret d'un déplacement spatio-temporel. On ne s'étonnera pas, en revanche, de voir Woolf concevoir encore une fois l'acte littéraire sur le mode de la rencontre avec l'autre. La rencontre entre l'artiste et le character semble en effet ne pouvoir prendre tout son sens que si elle sollicite une autre rencontre, un autre type de retrouvailles, celles entre l'artiste (l'horloger bricoleur) et le lecteur venu chercher la clef d'un mystère. C'est bien le style du "moment" qui devient alors le "common ground" dont Woolf n'a jamais abandonné l'idée, même si elle en a critiqué l'idéologie cachée dans le système réaliste. Contrairement aux idées reçues, l'écart métaphorique, dit Woolf, permet donc au romancier de se rapprocher non seulement de son character, mais également de son lecteur, conférant à l'ambition éthique de cette esthétique une dimension et une direction inattendues. Dans la sixième et dernière partie de son essai, Virginia Woolf rend un hommage mitigé aux modernistes, dont elle dit pourtant comprendre la violence (334). Elle demande d'ailleurs à ses lecteurs plus de tolérance : "we must reconcile ourselves to a season of failures and fragments" (335), et plus loin : "Tolerate the spasmodic, the obscure, the fragmentary, the failure" (337). En fait, on l'a vu, Woolf se montre réservée vis-à-vis de ses collègues modernistes parce qu'elle a déjà trouvé son "style" personnel, un style qui ne parie pas, selon elle, sur la rupture des relations. Elle rappelle donc, timidement mais fermement, à ses auditeurs ou lecteurs qu'ils n'ont finalement qu'un devoir, celui de voyager dans le train de Mrs Brown :
Pour échapper à l' "indécence" de Joyce, à l' "obscurité" d'Eliot ou encore aux tergiversations de Strachey (334-35), il existe une autre voie : le lecteur devra prendre place à l'intérieur du compartiment de train où est assise Mrs Brown. La lecture est donc explicitement définie comme une
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expérience du déplacement, expérience déjà passée et non à venir. Or, s'il devient vite clair que ce déplacement ne doit en aucun cas être conçu sur le modèle du glissement métonymique réaliste, il apparaît tout aussi rapidement que cette expérience est pourtant nécessairement collective. Etablissant en effet un parallèle entre sa propre expérience et les expériences "impressionnistes" de tout un chacun, Woolf met en garde son auditoire contre ces artistes, quels qu'ils soient, qui seraient tentés de perdre de vue le mystère de l'apparition du character :
Le déplacement auquel est convié le lecteur est celui dont il fait l'expérience dans sa vie quotidienne, dans ses "face-à-face" de tous les jours, mais Woolf établit une nouvelle connexion par similarité : le lecteur est sans cesse confronté à d'étranges "apparitions" qui ne cessent de le projeter précisément au coeur de l'événement catastrophique survenu à Clapham Junction. Le "common ground" est donc le lieu même de l'écart métaphorique, et la fonction de l'art n'est pas de provoquer une rupture fracassante avec le lecteur, mais au contraire de conserver la trace des "impressions" de chacun tout en y ajoutant un supplément de sens (idée très "proustienne," on l'a vu). En fait, le "moment" woolfien aura pleinement eu lieu quand le lecteur aura sauté à bord d'un train qu'il connaît déjà, dont il a souvent perçu, mais sans grande clarté, les aiguillages et les "junctions," ce train fantôme de tous les écarts métaphoriques dont Woolf nous dit que s'il peut se nommer Mrs Brown il surgit néanmoins pour chacun, dans chaque foyer, où et quand on ne l'attend pas, comme la figure ancillaire de 1910. Mrs Brown et la cuisinière géorgienne ne sont donc finalement qu'un seul et même character, les figures possibles d'un même personnage __________ 42. Toujours dans sa critique de l'image cinématographique, Woolf dit du visage à l'écran qu'il n'a pas de profondeur, ajoutant : "We should see violent changes of emotion produced by their collision." ("The Cinema", 271)
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conceptuel, [43] dont le nom, le statut social, le lieu de résidence, la formulation ou même le sexe restent précisément instables, nomades, inassignables :
Figure de la métamorphose, de l'ensemble flou, du bricolage, de la création composite, de la "queer amalgamation," de la similarité anexacte, du voisinage d'indiscernabilité, et donc de la poésie, de l'arc-en-ciel ou de l'androgynie (qui n'est donc jamais qu'une figure), [44] ce personnage conceptuel n'a pas sa place dans le "train of thought" des glissements réalistes, mais dans le train fou des métaphores et transfigurations, dans ce train fantôme dont la ligne irrégulière porte parfois aussi le nom de "stream of thought." [45] __________
43. "Chaque concept sera donc considéré comme le point de
coïncidence, de condensation ou d'accumulation de ses propres composantes.
Le point conceptuel ne cesse de parcourir ses composantes, de monter et de
descendre en elles. (. . . ) Les rapports dans le concept ne sont ni de
compréhension ni d'extension, mais seulement d'ordination, et les
composantes du concept ne sont ni des constantes ni des variables, mais de
pures et simples variations ordonnées suivant leur voisinage. [...]
Un concept est une hétérogénèse, c'est-à-dire
une ordination de ses composantes par zones de voisinage" (Deleuze et Guattari,
Qu'est-ce que la philosophie ? Paris: Minuit, 1991, p. 25-26). Les
auteurs font ensuite remarquer que les personnages conceptuels sont
"irréductibles à des types psycho-sociaux." (p. 65)
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"Mr Bennett and Mrs Brown" présente donc un intérêt tout particulier dans la genèse de la théorie esthétique woolfienne. Cet essai n'annonce pas un système d'écriture ; il le découvre et l'expérimente, l'intègre au point de le transformer en point d'ancrage à partir duquel on peut condamner tout autant les glissements des réalistes édouardiens que les audaces des modernistes géorgiens. Ce texte permet également de saisir la spécificité de la position woolfienne. Celle-ci, on l'a vu, est issue d'un double mouvement, idéologique et éthique : soustraire le monde à l'empire de la raison objectifiante capitaliste et, simultanément, lui rendre sa condition de possibilité au travers d'outils qui ne peuvent être qu'esthétiques (entreprise dès lors condamnée à d'insurmontables contradictions, la conception du sujet ainsi induite relevant elle-même d'une idéologie bourgeoise). L'originalité de la démarche woolfienne est ici de poser le visage comme art à venir, c'est-à-dire comme silence du discours réaliste, suspension de la raison discursive, déconstruction de l'identité narrativiste, établissant que le discours authentiquement "réaliste" doit avant tout se donner un vis-à-vis non pas figuratif, mais "figural." [46] Chez Woolf, comme chez Conrad, la "vision" doit être l'horizon et le coeur du discours. [47] Dessinant alors une autre topologie du savoir et de la vérité, Woolf reproduit avec la figure humaine des descriptions édouardiennes ce que, selon Merleau-Ponty, Cézanne réalisait avec la Dioptrique de Descartes : rejetant une conception articulée, active et logique du sens et de l'espace, "Mr Bennett and Mrs Brown" transforme le character non en objet de vue, mais en présence anamorphique irréductible au champ unifié euclidien ; le __________
46. Jean-François Lyotard définit le "figural" comme, entre
autres, ce qui va "obliger l'esprit à stationner devant le sensible"
(Discours, figure. Paris: Klincksieck, 1971, 218). Un peu plus loin,
commentant tout à la fois la notion de symptôme (chez Freud)
et un dessin de Picasso (1941), Lyotard donne de la "figure figurale" une
définition qui rappelle curieusement la "vision" woolfienne de Mrs
Brown : "On a bien affaire à une représentation, mais les
règles de l'espace scénique ne sont plus celles de l'espace
sensible. Ce n'est pas seulement le texte de l'auteur qui est caviardé,
surimprimé, brouillé, c'est aussi la figure des acteurs, la
place où ils se tiennent, leur vêtement, leur identité
; quant aux décors, ils changent en pleine action, sans crier gare.
L'action elle-même n'a pas d'unité." (277)
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character n'est plus prétexte référentiel, mais puissance d'hétérogénéité venant travailler l'ordre du discours. [48] Ce que j'ai alors choisi de nommer "métaphore" - terme qui, on l'aura compris, est lui-même figure de tous les écarts hiéroglyphiques dont s'informe le système d'écriture woolfien - est le "bricolage" qui permet à Woolf de faire dérailler le rêve réaliste d'un déplacement de la signification dans la limpidité d'un espace vectorisé. Il s'agit là d'un processus métabolique qui entre en collision avec le train des métonymies en ouvrant son propre espace, en perçant son propre chemin, en traçant sa propre voie. La métaphore woolfienne est dotée d'une énergie instable, nomade, itinérante, mais c'est bien cette énergie qui lui permet de produire et non de parcourir sa propre route. La voie métaphorique est creusée par un train fantôme au cheminement de taupe. [49] Pourtant, et c'est tout le paradoxe de la collision, si la voie ainsi tracée invalide l'idée inaugurale d'une vérité et d'une virginité du character, elle ne cesse de renvoyer malgré tout pour Woolf à la "réalité" de Mrs Brown et donc de parler encore au lecteur. La métaphore n'abdique donc pas ses prétentions éthiques, mais chemine vers la vérité par analogie, permettant à Mrs Brown de se dévoiler non dans le silence d'un regard (un donné), mais à travers le langage ainsi mis en branle (un travail). Si la fonction poétique fait dérailler le fonctionnement dénotatif de l'écriture réaliste, la syncope du littéral ne semble donc pas déboucher ici sur la pure célébration du langage pour lui-même (Woolf reproche précisément à la beauté des vers d'Eliot de provoquer un vertige dangereux : "spinning madly through the air," 335). Le moment métaphorique n'abolit pas la fonction référentielle. Au contraire, le langage se trouve doté d'une sorte de "pouvoir de référence du second degré" [50] qui, s'adressant à un __________
48. Voir Maurice Merleau-Ponty, L'Oeil et l'esprit. Paris: Gallimard,
1964, rééd. "Folio Essais", p. 69 par exemple.
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lecteur pour donner un sens à son expérience vécue, obéit à la double injonction de Moore : la relation à l'autre avec la jouissance esthétique. C'est ainsi que la métaphore née en "1910" à "Clapham Junction" n'est pas un outil de mort : conservant sa visée éthique, elle libère le pouvoir de la fiction à redécouvrir la réalité, à redécrire une réalité qui reste inacessible à la description directe ou à la narrativisation classique. La "vision" de Virginia Woolf est le moment de la "métaphore vive."
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