(réf. Etudes Britanniques Contemporaines n° 10. Montpellier : Presses universitaires de Montpellier, 1996)
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Clore un récit de
voyage
Jan
Borm
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pluriel, dun voyage ou de voyages
représentant une quête. Cette narration répond à
un horizon dattente du lecteur qui se fonde sur le principe
selon lequel auteur = narrateur = voyageur. Deuxièmement, tout récit
de voyage peut mélanger des éléments
autobiographiques (lexpérience vécue de
lauteur), historiques (événements survenus
dans lhistoire) et fictifs et peut, à ce titre,
comprendre différentes formes décriture relevant de la
fiction et de la non-fiction. Il est entendu que cette
définition exclut du champ du récit de voyage
dune part toute uvre de fiction organisée autour dun
voyage et dautre part tout livre appelé guide de voyage
qui ne comprendrait pas une narration (presque toujours) à la
première personne dun voyage (ou de voyages) fondée sur
le principe auteur = narrateur = voyageur. En ce qui concerne la place que
peut prendre le récit de voyage dans la maison des littératures
décrite par Genette (4), il y résiderait du côté
de la littérature de diction, même si son emploi
de récits intercalés peut comprendre des allers et retours
fréquents dans le domaine de la fiction. À cet égard,
rappelons la remarque de Genette selon laquelle tout récit introduit
dans son histoire une mise en intrigue qui est déjà
une mise en fiction et/ou de
diction. (5)
The Road to
Oxiana
de Robert Byron, auteur né en 1905 et mort en 1941, est
considéré par la critique comme un des chefs-duvre
de la littérature de voyage britannique de ce siècle. Byron
y relate sous la forme dun journal de route un voyage divisé
en cinq parties qui emmène le lecteur de Venise à travers le
Moyen-Orient jusquen Afghanistan et qui se termine en Angleterre, la
durée du voyage indiquée dans le récit
sétendant du 20 août 1933 au 8 juillet 1934. Mais cette
présentation nest quun cadre formel à
lintérieur duquel Byron a su développer une multitudes
décritures et une mise en intrigue poussée.
Comme lobserve Jonathan Raban, lui-même lun des plus
éminents écrivains-voyageurs
daujourdhui: In fact The
Road to Oxiana was the product of three years of constant writing and revision.
Its casualness is an elaborate
fiction. (6) Byron a non seulement entrepris
avec beaucoup de soin la rédaction de son récit, mais il y
a conjugué différentes formes décriture avec une
inventivité qui na guère dégal au
vingtième siècle. Le critique Paul Fussell en a chanté
les louanges et a résumé cette inventivité dans les
termes suivants : I have said that The Road to Oxiana is the Ulysses or The Waste Land of modern travel books. One reason this can be said is that its method is theirs: as if obsessed with frontiers and fragmentations, it juxtaposes into a sort of collage the widest variety
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of rhetorical materials: news clippings, public
signs and notices, letters, bureaucratic documents like fiches, diary entries,
learned dissertations in art history, essays on current politics, and, most
winningly, at least 20 comic dialogues some of them virtually playlets
of impressive finish and point ... .
(7)
Examinons à présent cette
inventivité dans la dernière partie du récit de Byron
pour voir comment la notion du retour y est présente et dans quelle
mesure elle clôt le texte.
Le début du retour est clairement
indiqué par le narrateur dans la cinquième partie du récit:
Tomorrow, therefore, after ten months travelling, we turn towards
home (RO 309). Le nombre des pages consacrées au retour
sélève à 25, des pages 309 à 333, ce qui
représente moins dun dixième du récit. Le retour
ny occupe donc pas une place prépondérante du point de
vue de sa longeur, mais il clôt tout de même le texte en respectant
une vieille convention générique du récit de voyage
que lon observe aussi dans dautres récits de
lentre-deux-guerres. À ce sujet, remarquons que des parties
majeures ont été consacrées au retour dans certains
récits de voyage dépoques antérieures comme dans
ceux, par exemple, de Colomb ou de Marco Polo et que, visiblement, le récit
au vingtième siècle semble cesser progressivement daccorder
semblable importance au retour.
Dans le récit de Byron nous
repérons neuf stades consécutifs du retour qui se présentent
à chaque fois comme un éloignement supplémentaire par
rapport au lieu qui faisait lobjet de la quête du narrateur,
cest-à-dire aller en Oxanie, quête à laquelle le
titre du livre fait dailleurs allusion. En fait, le retour intervient
directement après laboutissement, à quelques nuances
près, de la quête en ce sens que le narrateur rêvait de
se rendre aux bords du fleuve Oxus mais que lautorisation de sy
rendre lui est finalement refusée et que lui et son compagnon de voyage,
Christopher, doivent se contenter dun séjours toutefois
satisfaisant dans la région portant le nom du fleuve. Vu sous cet
angle daboutissement, le séjour en Oxanie est le dernier
moment fort du récit du point de vue de
lémotivité quil engendre.
Cet éloignement en stades
consécutifs du lieu préféré est
directement évoqué à plusieurs reprises. Ainsi, par
exemple, le fait de quitter la région de lOxus implique que
lon sorte de lAsie centrale, région magique pour le narrateur
à cause de ses monuments architecturaux à la recherche desquels
il était parti dEurope :
We woke up this morning to realize we had left Central
Asia
(RO 313).
Faisant allusion aux activités
quotidiennes du voyage, il note : ... the thought that tomorrow
it will cease leaves us flat and a little
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melancholy (RO 318). Le dernier
mot melancholy est frappant non seulement parce
quil est énoncé lors dun voyage qui nest
pas encore achevé mais aussi parce quil vient dun narrateur
censé être britannique. La célèbre mélancolie
britannique semble déjà avoir rattrapé le narrateur
avant quil ne pose à nouveau le pied sur son île
natale.
Après les jours heureux en Oxanie,
le retour représente aussi bien un éloignement quun
enfermement. Les deux voyageurs sont obligés dattendre une semaine
à Kaboul et un des passages consacrés à cette période
commence par la légende Uneventful days (RO 321).
Notons que les deux hommes quittent lAfghanistan
sur une note humoristique; à minuit précisément:
Christopher has gone out to drink beer with a German schoolmaster,
while I, Martha-like, have been packing and paying the bill. It is
midnight (RO 328).
Sans énumérer les
différentes étapes, mentionnons encore que le voyage de retour
en bateau est décrit comme ... an appalling penalty (RO
332); cest un gâchis: ...
a fortnight blotted out of ones life at great
expense
(RO 332). Ces quinze jours sont décrits en à peine plus dune
demi-page. On observe donc là une accélération de
lordre chronologique du récit qui saccompagne dune
compression dordre spatial. Dans le récit de Byron cette
stratégie narrative acquiert une fonction esthétique en ce
sens quelle relativise dune manière accrue limportance
accordée à la notion du retour en fin de livre, accompagné
de termes qui suggèrent une certaine déception du voyageur
lors du retour.
En passant au deuxième temps
de notre grille de lecture, nous remarquons que le dernier paragraphe du
récit est consacré, en quelques lignes, au retour en Angleterre
même et à la maison du narrateur, à Savernake. Le narrateur
évoque sa séparation davec Christopher à Marseille
et présente le paysage anglais vu du train comme une déception
supplémentaire:
England looked drab
and ugly from the
train (RO 333) mais il atténue quelque peu ce
jugement en ajoutant
owing to the
drought
(RO 333). Dailleurs, ces moments de déception sont
contrebalancés par des effets dironie, telle la remarque comique
dun passager anglais qui lors du voyage de retour en bateau hasarde
lobservation suivante sur lAfghanistan: Ah, ...
thats in India, isnt
it?
(RO 332), et par lallusion faite à un nouveau personnage, la
mère du narrateur, ainsi quà lamour et à
lestime quil éprouve à légard de cette
dernière et de sa maison.
Il évoque ce moment flou
et paradoxal que représente limminence de larrivée:
I began to feel dazed, dazed at ... the impending collision between
eleven months momentum and the immobility of a beloved home (RO
333).
La toute dernière phrase du récit est
précédée par lapproche de la maison (Our
dogs ran up [RO 333]) avant dévoquer la mère dans
les termes suivants: And then my mother to whom, now it is finished,
I deliver the whole record; what I have seen she taught me to see, and will
tell me if I have honoured it (RO 333).
À la fin du récit le narrateur
rend donc hommage à sa mère comme mentor et critique tout en
faisant auto-référence au récit
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même. Lutilisation du verbe
to deliver est signifiante à cet égard en ce
quil suggère lidée de naissance,
représentée dailleurs aussi par la mère. Dans
cette dernière phrase on trouve par conséquent à la
fois la notion dun double retour à la maison et aux sources
et la notion douverture dans la mesure où il va livrer son manuscrit
au regard critique de sa mère.
Cela dit, cette dernière phrase
ne clôt pas à proprement parler le livre de Byron. Elle est
suivie dun index des noms propres et des lieux mentionnés que
lon a quelque difficulté à qualifier
délément paratextuel. En effet, lindex
est à son tour suivi de la mention The End qui le ferait
apparaître comme partie intégrante du récit. Il nous
semble quil sagit là dune stratégie visant
à renforcer laspect érudit du livre en invitant le critique
et le lecteur à feuilleter à nouveau les pages du récit
pour retourner, à leur tour, aux
sources.
Passons maintenant à In
Patagonia de Bruce Chatwin (1940-1989). Chatwin, grand admirateur de
Byron et préfacier de lédition Penguin de
The Road to Oxiana (8), décrit ce livre comme a
work of genius. (9) Ce qui nous emporte ici est le fait que
Chatwin avait une connaissance intime de luvre de Byron et nous
pouvons observer certaines convergences entre les deux livres. Sans vouloir
analyser toutes les strategies narratives mises en intrigue dans
In Patagonia nous observons que le livre de Chatwin est aussi un
mélange de différentes formes décriture avec cette
nuance que les récits de fiction intercalés (ou des
adaptations de récits biographiques et autobiographiques
pour reprendre le terme utilisé par le narrateur dans In
Patagonia) (10) prennent une place plus importante dans son livre.
Ajoutons que dans ce but le narrateur de In Patagonia reste nettement
plus opaque et que les indications de temps sont réduites de manière
extrême chez Chatwin.
Nous retrouvons dans la clôture
de In Patagonia la notion du retour, mais un retour de nature
différente. Dans sa thèse de doctorat Matthew Graves a montré
à quel point luvre chatwinienne salimente de la
mythologie (11) ou sy ressource :
cest une habitude chez Chatwin que de mythifier lHistoire
pour retrouver toute la dimension allégorique de ses acteurs.
(12) Ainsi, la quête du narrateur dans In Patagonia pour
un morceau de peau de mylodon prend bien des allures de quête pour
la Toison dor. Comme nous lavons observé
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au début, le mythe de la Toison
dor est intimement lié au retour et, du fait que la dernière
partie du livre de Chatwin est consacrée entre autres à
laboutissement de la quête annoncée plus tôt, nous
retrouvons vers la fin du livre cette notion de retour.
Cette dernière partie est introduite par le narrateur en ces
termes : I had one more thing to do in Patagonia: to find a
replacement for the lost piece of skin (IP 167).
Notons bien le mot replacement.
Sil est question de retour ici, il ne peut pas sagir dun
retour aux origines, mais seulement de trouver un remplacement
symbolique de lenfance perdue du narrateur. Cest
ici que la notion du retour chez Chatwin recoupe en partie celle de Byron,
car lidée de naissance y est présente aussi.
Dailleurs, la fin du livre de Chatwin renvoie à son début
où figurent la grand-mère et la mère du narrateur,
présences qui peuvent nous renvoyer au terme du livre de Byron et
à la présence de la mère du narrateur. Cependant, la
maison denfance ne figure pas dans la dernière section de In
Patagonia et la direction du bateau que prend le narrateur nest
pas précisée. Cette dernière partie comprend onze sections en vingt pages ainsi que deux pages bibliographiques, mais seulement une section (93) dune page à peine, est consacrée à la découverte du morceau de peau. Après avoir annoncé la recherche du morceau, le narrateur met celle-ci en suspens et poursuit la piste dun anarchiste (sections 87 et 88), reprenant ainsi la thématique de certaines sections antérieures. Les sections 89 à 92 prépareront ensuite le lecteur à la découverte en le renseignant sur lhistoire de la caverne, les mylodons, la chasse lucrative aux morceaux de peau à la fin du siècle dernier et sur la manière dont lun de ces chasseurs, le cousin Charley Milward, aurait obtenu et envoyé aux grands-parents du narrateur, comme cadeau de marriage, le morceau évoqué en début du livre. Cette histoire retrouvée est alors suivie de laboutissement de la quête, mais limportance de cette découverte est quelque peu minimisée par un ajout du narrateur: I had accomplished the object of this ridiculous journey (IP 182), effet de dérision que nous avons observé de manière différente chez Byron.
Les derniers déplacements du
livre représentent un retour à Punta Arenas (13),
lattente dune semaine (comme chez Byron) dans un hôtel
et lembarquement sur le bateau. Le retour est donc bien présent
dans la dernière partie du livre au sens figuré et en termes
de déplacements décrits mais, à la différence
de Byron, il ny a pas mention dun retour en Angleterre ou même
dans un autre pays. Enfin, précisons que la section 93, celle de
laboutissement de la quête accomplie solitairement, contraste
avec la section antérieure dans laquelle le narrateur se promène
avec un fermier dorigine allemande (comme Charley Milward, qui travaillait
à la caverne avec un allemand) et avec la section suivante où
il est
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question dun péon mourant
rencontré sur la route de retour vers Punta Arenas et que le narrateur
laissera sur le chemin. Ce qui signifie que le chemin vers le bateau
représente la mort laissée derrière soi, à savoir
la caverne remplie de morceaux de peau et le péon qui va mourir, un
chemin qui souvre sur locéan, le mouvement et une nouvelle
naissance, momentanément encore interrompue dans
lavant-dernière section du livre par le portrait dun
monstre vivant, un ancien Nazi et cela par contraste avec
lhistoire de monstres légendaires évoquée
dans la section 91.
Les sections 95 et 97 enfin décrivent
la dernière semaine du narrateur en Patagonie, lembarquement
sur le bateau et le lendemain du départ en mer. La notion du retour
y est présente de deux manières. Premièrement le narrateur
renoue une dernière fois avec le thème du nomadisme en introduisant
le personnage dun représentant de lingerie fine. Matthew Graves
a analysé à quel point cest là un thème
de prédilection dans luvre chatwinienne et
particulièrement dans In Patagonia : tous les
personnages du récit : exilés, pionniers, aventuriers,
hors-la-loi, anarchistes, sont réunis dans une seule logique
géographique, celle du nomadisme et, vus à travers ce prisme,
prennent lallure de nomades ou de sédentaires atavistes.
(14) Toutes les évocations du représentant vont dans
ce sens et le font apparaître comme un nomade du monde moderne. Ainsi,
le narrateur fait référence, à plusieurs reprises, à
limpatience avec laquelle le représentant attend le bateau:
[He] . . . paced up and down (IP 183), ou encore In the
night the noise of his crêpe soles kept me awake again.
He went out at five, but I heard him come back several
times (IP 184).
On apprend également quil cherche sur la
plage des cailloux avec lesquels il jouera à lhôtel et
quil sagit là dune activité créative.
Néanmoins, le directeur de lhôtel considère ce
personnage comme fou: Es loco, the manager said.
He is
mad (IP 185).
Cette
remarque nest pas commentée, mais dans la logique chatwinienne
elle apparaît ironique, car le terme même de nomad
suggère la santé. Et pourtant, le représentant tombera
malade pendant cette semaine dattente et ne sera guéri
que partiellement en embarquant car on le retrouvera sur le bateau: pacing
the foredeck, chewing his lip and muttering poetry (IP
186).
Deuxièmement, le retour est
présent à la fin du livre en ce sens que lon y trouve
des images et éléments qui renvoient au début
du livre. On peut se demander pourquoi la salle à manger de
lhôtel est décrite dans les termes suivants : The
walls of the dining room were a hard blue.
The floor was covered
with blue plastic tiles, and the tablecloths floated above it like chunks
of ice (IP 183).
Cest
en retournant à la première page du récit que lon
saperçoit que ces termes suggèrent lidée
dune prison.
On y trouve
la vision quavait le narrateur-enfant du brontosaure dont Charley Milward
avait trouvé un morceau: Thousands
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of years before, it had fallen into a glacier, travelled down a mountain
in a prison of blue ice, and arrived in perfect condition at the bottom
(IP 5).
Lidée
dun hôtel-prison et dun représentant-nomade impatient
de partir et tombant malade pendant lattente nous semble significative
en ce quelle précède lembarquement pour un voyage
ultime qui, de ce fait, symbolise la liberté
retrouvée.
Lembarquement, décrit
dans ces termes : Then we filed through the green customs shed,
along the rusty plates of the steamer (IP 186), et la présence
du capitaine et des autres participants du voyage (we) nous renvoient
à leur tour au début car on peut prêter un rôle
allégorique à ces personnages, en raison du lien
que lon peut établir dune part entre eux et les animaux
de lArche de Noé évoqués dans la première
section, et dautre part entre les passagers et les
Argonautes.
Les toutes dernières lignes
du récit évoquent une dernière fois le thème
du nomadisme à travers un garçon anglais des îles Falkland
qui explique son départ de ces îles de la manière suivante:
We are so bloody inbred (IP 186). On peut y lire, dailleurs,
une allusion ironique à la Grande-Bretagne. Ce garçon a reçu
du représentant un caillou et un homme daffaires joue La
Mer sur un piano à bord du navire le jour du départ:
ainsi le thème du nomadisme est-il à nouveau rapproché
de lidée de créativité. Le lendemain du départ,
lhomme daffaires joue encore La Mer au moment où,
comme le dit le narrateur, we came out into the Pacific (IP 186),
dernier jeu de mots introduisant lidée de naissance avant que
le narrateur ne close son récit sur cette note de dérision :
Perhaps it was the only thing he could play (IP 186). Cela dit,
le livre de Chatwin ne se termine pas par cette phrase, mais on trouvera
encore quelques pages bibliographiques, appelées plus
modestement some sources, qui limitent quelque peu cet effet
de dérision en réintroduisant, comme chez Byron, le caractère
érudit de certaines sections du récit. Présentées
sous forme narrative, ces sources ne semblent dailleurs pas non plus
avoir une simple place paratextuelle, car on y trouve le
présumé auteur-narrateur sexpliquant sur le travail
dadaptation effectué dans certaines
sections.
Nous avons suggéré dans
lintroduction que lon peut observer une divergence en termes
de conventions génériques entre la fin des deux récits
analysés ici. La convention générique à laquelle
nous faisions allusion, à savoir que la dernière partie dun
récit de voyage décrit le retour du narrateur au point de
départ, se trouve appliquée dans un certain nombre de livres
britannique des années 1930, mais pas dans tous les récits
de voyage de cette période. Analysant, entre autres, des récits
dEvelyn Waugh, Graham Greene et Robert Byron, Paul Fussell y relève
ce trait commun du retour, qui consiste en loccurence à
décrire en dernier lieu le retour du narrateur en Angleterre, et à
le présenter comme partie intégrante de notre horizon
dattente : Somehow, we feel a travel book isnt wholly
satisfying unless
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the traveller returns to his starting point: the action, as in a quest
romance, must be completed.
(15) Puisque lon observe ce trait
dans certains récits des années 1930, on peut sans doute en
parler comme dune convention générique. Il nous semble
néanmoins utile de préciser quune convention
générique nest pas égale à un trait
générique, en ce sens que lensemble des traits
génériques énumérés dans la définition
dun genre donné représenterait les éléments
dont la présence serait indispensable dans une uvre pour
quelle soit classée dans ce même genre, alors que les
conventions génériques ne représentent pas des
éléments indispensables dun genre.
Il ne sagit pas ici de remettre
en cause lidée que la notion du retour figure de différentes
manières à la fin dun grand nombre de récits de
voyage et que cette convention générique peut être
repérée dans certains récits à lheure actuelle.
Tout nous semble reposer sur le problème de savoir de quel retour
ou plutôt de quel aspect de la notion du retour on parle. Cest
à ce niveau que le terme point de départ du voyageur
quemploie Fussell savère trop vague. (16) Bien
que certains récits de voyage des années trente décrivent
le retour du narrateur-voyageur en Angleterre, dautres récits
britanniques de la même époque se terminent ailleurs et on peut
observer chez un même auteur des divergences entre différentes
uvres, comme notamment chez Byron et son livre First Russia, Then
Tibet . (17)
En ce qui concerne notre période,
la convention qui consiste à décrire le retour du narrateur
(au sens de retour au point de départ) ne sobserve que dans
peu de récits de voyage (chez Paul Theroux, par exemple) et lon
observe un nombre important de récits contemporains dont la fin reste
plus ouverte dans la mesure où elle ne prend pas la forme
dun itinéraire bouclé. Nous avons vu Chatwin se prendre
à cette convention dun retour de litinéraire au
point de départ en déjouant le mythe du héros-voyageur
comprenant trois stades de voyage (départ, quête initiatique,
retour/réintégration) et que Fussell compare au trois âges
de la vie (adolescence, âge adulte, vieillesse). (18) Chatwin
déplace la notion du retour sous forme ditinéraire
bouclé en mettant en jeu limage de naissance et
douverture/errance à la fin de son récit. Ainsi, sa
clôture du texte renvoie le lecteur à un triple début:
celui du récit (noublions pas lépigraphe du livre
citant Cendrars), celui de lenfance et celui dun auteur dont
le premier livre déroutera toujours.
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